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Jack Barron et l'Eternité" ("Bug Jack Barron") est un roman de science-fiction écrit par
Norman Spinrad et publié en 1969. Pour qui s'intéresse au milieu de l'imaginaire, le nom de Jack Barron parle facilement. Ouvrage majeur de Spinrad, publié il y a plus de cinquante ans (!), j'étais forcément très curieux de m'y pencher enfin. Et ceci grâce à Kube et aux choix toujours délicieux des libraires, qui ne cessent de me ravir tous les mois...
Par ailleurs, le cas Jack Barron est compliqué. Compliqué car on est indiscutablement devant une oeuvre majeure, intimant le respect autant que le dégoût.
Jack Barron est l'animateur vedette de l'émission "Faites suer Jack Barron", sorte de messe télévisuelle hebdomadaire suivie par des millions de partisans. Savamment orchestrée, elle présente en quelques dizaines de minutes la croisade démonstrative de notre animateur pour "chercher des réponses" aux questions posées par les bon concitoyens américains. ET à coup de facetime, voilà des mises à mort politiques ou autre pouvoir de manipulation de masse. Mais voilà qu'un jour, Barron se frotte de trop près à Benedict Howard, mystérieux milliardaire ayant percé le secret de l'immortalité. Et c'est parti pour une guerre, par média interposé, qui fera couler beaucoup d'encre... Et de sang.
Commençons par le plus frappant: pour un bouquin de 1969, il est incroyablement actuel. La réflexion sur le rôle, et surtout le pouvoir, des médias est particulièrement judicieuse. Rajoutons à cela qu'une certaine partie des "inventions" de l'époque sont juste nos technologies actuelles (j'imagine que le tour de force à l'époque était encore plus impressionnant). C'est incroyablement actuel, ça fout parfois le vertige, et c'est grisant.
Les différentes argumentations autour de l'immortalité sont déjà plus discutables. Notamment parce qu'elles sont rares: l'immortalité est posée comme une sorte de but ultime, très peu rediscutée dans ce qu'elle implique (elle est juste, de façon obsessionnelle, opposée à l'angoisse de mort.). La base scientifique derrière tout ça, si elle apporte l'intensité dramatique nécessaire, est elle aussi une peu désuète.
Le tout est formidablement narré par un
Norman Spinrad très... A vif. Difficile de ne pas l'imaginer en train de fumer une de ses Acapulco Golds en lisant cette verve, cette fougue avec laquelle il mène son texte. C'est à la fois prodigieux dans sa construction syntaxique, et à la fois extrêmement confus. On dirait parfois un Hunter Thompson en pleine montée. Ne connaissance pas l'auteur, je ne m'exprimerai pas plus sur ce style. C'est forcément très intéressant à lire, mais faut se laisser porter... Et avoir un certain sens de l'abstraction.
Là où le bat blesse, c'est quand on aborde le traitement affreusement machiste du bouquin. Et pourtant, Dieu sait que je m'offense pas pour un rien, et que la plupart des débats "woke" me les casse bien avant que je m'intéresse au sujet (donc je me tais). Mais alors là, c'est quand même compliqué de passer outre... Tous les personnages masculins sont machistes à l'extrême. le traitement de la femme, sorte de machine à baiser faisant faire-valoir de nos héros masculins, est effroyable. Alors bien sûr, on dira que le bouquin est sorti à une autre époque. Ca ne le rend pas plus tolérable sur certains passages.
Le tout reste suffisamment intelligent pour qu'on ait envie de connaître la suite. Mais je n'ai absolument aucun doute sur le fait que certains lecteurs / certaines lectrices n'auront pas la même clémence.
Bon. Faut quand même lire "Jack Barron", pour l'expérience sensorielle qu'il offre. On a fait mieux avant et beaucoup mieux après. Cela reste un classique qui, avouons-le, scotche à tour de bras le lecteur et sans concession.