Avant la lecture de ce "printemps russe", je ne connaissais Spinrad que de réputation et par quelques entrevues qu'il a pu accorder au cours de sa carrière. Ce livre en deux tomes m'avait été conseillé par un lecteur de SF. Après avoir tourné la dernière page, je suis soufflé!
Le premier point qui m'a frappé c'est le style. Pour moi, l'écriture de
Norman Spinrad tient du génie. D'un abord assez simple et dépouillé, allant droit à l'essentiel, il vire tantôt dans un style très cru et provocateur à un autre plus recherché, très raffiné et poétique, presque barjavelien. Mais toujours à bon escient. Il y a bien un côté parfois outrancier (surtout dans le premier tome) et ouvertement provocateur, comme si Spinrad, en écrivant, disait aux néo-conservateurs évangélistes américains qu'ils pouvaient se mettre leur bible dans le... Mais venant d'un auteur lui-même américain, la critique passe bien et connaître un peu les valeurs soutenues par l'auteur dans la vie donnent un deuxième niveau de lecture de tout ça.
Ses personnages sont caricaturaux juste ce qu'il faut pour donner du corps à l'histoire, mais sont quand même merveilleusement fouillés, réalistes et attachants. Je n'ai pas pu m'empêcher de trouver d'énormes similitudes entre la Sonia Gagarine de Spinrad et la Maya Toitovna de
Kim Stanley Robinson.
Car certains admirateur du McCarthysme ont dénoncés (et dénoncent toujours)
Norman Spinrad comme anti-américain et pro-soviétique. Difficile de le croire à la lecture de ce "printemps russe". L'auteur est évidemment très critique envers l'impérialisme américain, leur avide malhonnêteté, leur chauvinisme de mauvais aloi. A travers ces personnages, il dénonce tout cela très ouvertement (d'ailleurs, difficile de ne pas voir en Jerry, le personnage principal, un parallèle évident avec la vie de l'auteur). Mais il dénonce aussi ouvertement la folie stalinienne, l'erreur soviétique, l'arrivisme et le carriérisme engendré par cette politique à marche forcée vers le socialisme, l'impérialisme rouge, etc. Il dénonce aussi avec force les nationalismes, les intégrismes, les replis identitaires. En suivant l'histoire d'une famille,
le printemps russe dénonce les dérives politiques comme les dérives humaines, dans leurs bassesses et leurs aspects les plus retors.
Malgré tout, ne voir que cela dans ce chef-d'oeuvre serait selon moi une immense erreur.
le printemps russe est une ode à l'optimisme et est porteur d'un message à la fois fédérateur et puissant. A travers ses personnages superbement décrits, dans cette uchronie qui n'est que trop réaliste, il questionne directement nos ambitions, nos valeurs, nos certitudes sur ce monde qu'il a imaginé et dans lequel nous vivons. Même si les forces en présence dans la géopolitique réelle ne sont pas exactement celles qu'avait imaginé
Norman Spinrad, le récit n'en reste pas moins parfaitement à-propos.
Un lecture extraordinaire que je relirai certainement et que je conseillerai à celles et ceux qui n'ont pas peur de se questionner sur leur monde occidental, leurs illusions et leurs aspirations.