Citations sur Une vie entre deux océans (343)
De même que dans les champs de blé où l'on sème bien plus de grain que ce qui peut arriver à maturité, Dieu semblait éparpiller des enfants excédentaires, pour les récolter selon un calendrier impénétrable. Le cimetière de la ville avait gardé fidèlement trace de tout cela, et les stèles, parfois penchées de côté comme des dents sales et branlantes, racontaient sans ambages des vies happées trop tôt par la grippe, une noyade, la chute capricieuse d'un arbre, voire par la foudre. Mais, à partir de 1915, les mensonges commencèrent. Des garçons et des hommes, de tout le district, moururent par dizaines et pourtant les cimetières se turent.
Quelquefois, je suis si heureuse que ça me fait peur.
Drôle de chose que les souvenirs, se dit-il en se passant le visage à l’eau glacé. Certaines personnes s’en nourrissent comme si leur existence était retenue par un fil qui les tient éloignées de la mort; d’autres les effacent pour éclaircir le temps qu’il leur reste.
Parfois, on est du côté des chanceux. Parfois, c'est le pauvre diable en face qui tire la paille la plus courte, et on n'a plus qu'à se taire et faire avec.
Le bien et le mal, ça peut être comme deux foutus serpents : si emmêlés qu'on ne peut les différencier que lorsqu'on les a tués tous les deux et alors il est trop tard.
Le chien était souvent le premier à remarquer que quelque chose n'allait pas. Pas seulement que le pauvre gars avait perdu un oeil ou une jambe, mais bien plutôt qu'il s'était, au bout du compte, perdu lui-même - qu'il avait disparu au combat, alors même que son corps n'avait pourtant pas été porté disparu.
la ville tire un voilesur certains évènements. C'est une petite communauté ou chacun sait que la promesse d'oubli est parfois aussi importante que celle du souvenir.
Des enfants peuvent grandir en ignorant tout des folies de leur père dans sa jeunesse , ou frère illègitime qui vità une cinquantaine de kilomètres de chez eux et porte le nom d'un autre homme. ................................;
C'est ainsi que la vie continue -protégée par le silence qui anesthésie la honte .
« Le vieux barbu là-haut, il t’a donné une seconde chance, alors je me dis qu’il n’a pas été trop choqué par ce que tu as fait ou pas fait là-bas. Raccroche-toi au présent. Arrange ce qui peut être arrangé aujourd’hui, et laisse filer les choses du passé. Laisse-le reste aux anges, au diable ou à qui en a la charge. » p.277
- Mais comment ? Comment fais-tu pour surmonter ça, mon chéri ? lui avait-elle demandé. Tu as enduré tellement d'épreuves, mais tu es toujours content. Comment fais-tu ?
- J'ai choisi de l'être, avait-il répondu. Je peux laisser ruiner mon passé, consacrer mon temps à haïr les gens pour ce qu'ils m'ont fait, [...], où je peux pardonner et oublier.
- Mais ce n'est pas si facile.
[...]
- Oui, mais, trésor, c'est tellement moins fatiguant. Il suffit de pardonner une fois. Tandis que la rancune, il faut l'entretenir à longueur de journée, et recommencer tous les jours.
Très lentement, il effectua un tour complet sur lui-même, embrassant du regard le néant qui l'entourait. Il avait la sensation que ses poumons ne seraient jamais assez grands pour inspirer autant d'air, que ses yeux ne pourraient jamais voir autant d'espace, de même qu'il ne pourrait jamais entendre toute la puissance de l'océan roulant et rugissant. L'espace d'un bref instant, il n'eut plus aucun repère.