Comme le note
Joseph Kessel dans sa préface, Steinbeck n'a pas du tout besoin d'expliquer les pensées des personnages, leurs démarches intérieures.
« Or, et c'est le mystère, ils vivent tous avec une intensité et une intégrité merveilleuses. »
L'entrée en scène ( cinématographique) , dans une campagne tranquille où coule la Salinas, avec le sommet des monts Galiban flamboyant de rose, où un serpent ondule dans l'eau la tête dressée comme un petit périscope : deux hommes se suivent , l'un, George, petit et vif, inquiet et presque angoissé.
L'autre, Lennie, derrière lui, énorme ours qui traine les pattes.
Ce couple, comme un vieux couple, fonctionne par reproches de l'un, culpabilité de l'autre, mots d'ordre de l'un : tu ne diras rien, hein, tu ne parleras pas ? et essai de l'autre , quand il s'en souvient, de faire de son mieux et de promettre.
La seule chose qu'il ne puisse pas promettre, c'est de ne pas aimer caresser les souris, les chiots, les lapins et les cheveux des femmes.
Lennie est un colosse tactile.
Steinbeck, après avoir écrit des livres drôles, comme
Tortilla Flat, dramatise son discours.
Et le paupérise.
Le couple improbable parcourt la campagne en cherchant du travail temporaire dans les ranches.
« Des types comme nous, qui travaillent dans les ranches, y a pas plus seul au monde. Ils ont pas de famille. Ils ont pas de chez-soi. Ils vont dans un ranch, ils y font un peu d'argent, et puis ils vont en ville et ils le dépensent tout…. Et pas plus tôt fini, les v'là à s'échiner dans un autre ranch. Ils ont pas de futur devant eux. »
Sauf que George entretient un rêve, lui aussi improbable, celui de s'installer, d'avoir de la terre, des légumes, des poules et …. des lapins, dont Lennie s'occuperait ( comprenez ; les caresserait. )
Oeuvre simple, en apparence, basée dans un des endroits les plus démunis qui soient, en 1937, parmi des journaliers dont l'un, noir, est mis à l'écart, parce qu'il est noir, racontant le vécu de ces hommes frustes, au milieu des récoltes d'orge, des chevaux et des chambrées sans lumière.
Oeuvre raffinée, quand on sait les jeux de cartes de George, et ses rêves qu'il entretient pour que Lennie le suive, et de l'autre côté la poupée maquillée vêtue de rouge, qui provoque tous les hommes, au cas où…. son jaloux de mari interviendrait, et la manie obsessionnelle de Lennie, de caresser.
Il ne veut pas faire du mal, mais il ne connaît pas sa force.
Ils jouent finalement un peu tous, ils sont pervers un peu tous, cherchant à extorquer les secrets, à faire peur, finalement unis dans leur rejet de cette provocatrice mariée qui cherche le conflit, souriant avec malice et ondulant des hanches.
Peut être, dit un travailleur, « que les gens ont peur les uns les autres, dans ce sacré monde. »
A quoi répond George, appuyé par Lennie : Oui, mais nous, c'est différent. Nous, on a un futur.
La campagne, à la fin du livre, est toujours aussi tranquille, les montagnes roses, un serpent sortant la tête comme un périscope.
Rien ne change, tout change.
LC thématique mai : nos amis les bêtes