Ici est la sécurité, ici est la chaleur, ici est le Tout.
- Que pouvais-je faire d'autre ? Ce sont tous des voleurs.
Juan Tômas opina gravement. Il était l'aîné et Kino attendait de lui de sages avis.
- Il est difficile de dire, répondit-il. Nous savons bien que nous sommes volés, depuis notre naissance jusqu'aux prix exorbitants de nos cercueils. Mais nous survivons. Ce que tu as défié, ce n'est pas les acheteurs de perles, mais le système entier, toute une manière de vivre, et je tremble pour toi.
Kino hésita un instant. Ce docteur-là n'était pas des siens. Il faisait partie de la race qui, pendant près de quatre siècles, avait battu, volé, affamé et méprisé Kino et ses pareils et les avait si bien terrorisés que l'indigène, désormais, ne se présentait devant sa porte qu'avec humilité.
Les quatre mendiants du fronton de l'église savaient tout ce qui se passait en ville. Is scrutaient l'expression des jeunes femmes qui se rendaient à confesse et, en les voyant sortir, devinaient à leur visage la nature de leur péché. Ils connaissaient tous les petits scandales et quelques sombres crimes aussi. Ils dormaient à leurs postes, dans I'ombre de léglise, si bien que personne ne pouvait s'y glisser, en quête de consolation, sans qu'ils le sachent. Et ils connaissaient le docteur, son ignorance, sa cruauté, son avarice, ses appétits et ses péchés. Ils connaissaient ses avortements maladroits et les misérables aumônes de petits sous qu'il faisait avec tant de parcimonie. Ils avaient vu ses morts entrer dans léglise.
"Nous savons bien que nous sommes volés, depuis notre naissance jusqu'au prix exorbitant de nos cercueils".
Il avait dit : « Je suis un homme » et cela signifiait beaucoup de choses pour Juana. Cela signifiait qu'il était à moitié fou et à moitié dieu. Cela signifiait que Kino se lancerait de toute sa force contre une montagne, précipiterait toute sa force contre la mer. Dans son âme de femme, Juana savait que la montagne resterait immuable tandis que l'homme se briserait; que les marées se poursuivraient tandis que l'homme se noierait.
Oui? interrogea le docteur.
– C’est un petit Indien avec un bébé. Il dit que le scorpion l’a piqué.
Le docteur posa soigneusement sa tasse avant de donner libre court à sa colère.
– Est-ce que je n’ai rien de mieux à faire que de soigner les piqûres d’insectes des « petits Indiens »? Suis-je un docteur ou un vétérinaire?
Si cette histoire est une parabole, peut-être chacun en tirera-t-il sa propre morale et y découvrira-t-il le sens de sa propre vie.
C'est merveilleux de voir combien une petite ville est consciente. Si un homme, une femme, un enfant ou un bébé agit et se conduit selon les règles établies, n'enfreint aucune loi, ne diffère de personne, ne risque aucune tentative, ne tombe pas malade et ne vient troubler en rien le confort, la paix morale ou le cours tranquille des jours de la ville, alors cet élément peut disparaître sans qu'on se soucie jamais de lui. Mais qu'un être sorte de la norme des pensées ou des habitudes rituelles, et aussitôt les nerfs de tous les citadins vibrent, un courant s'établit le long des fibres nerveuses de la ville. Et chacune des unités communique avec l'ensemble
Ils ne s'étaient parlé qu'une seule fois, mais à quoi bon parler si c'est seulement par habitude. Kino poussa un soupir de bien-être, et cela aussi était conversation