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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
Après une retentissante carrière de grand reporter – en 1993, son livre Elles sont gentilles, monsieur, écrit après son infiltration d'un réseau international de traite de femmes, fit tant de bruit qu'il déclencha des enquêtes parlementaires et des ajustements législatifs dans plusieurs pays –, Chris de Stoop a repris la ferme de ses parents, en plein coeur des Flandres, afin de faire perdurer un mode de vie rural en perdition. Deux ans avant cette décision, en 2014 donc, il apprenait qu'il héritait d'une autre ferme, incendiée celle-là, son oncle Daniel Maroy y ayant été sauvagement assassiné, alors qu'à quatre-vingt-quatre ans, il y vivait seul depuis bien longtemps.


Depuis qu'il avait coupé les ponts avec sa famille dans les années 1990, Daniel vivait retiré dans sa ferme, ne quittant ses quatre vaches que pour se rendre au supermarché en vélo – les gendarmes lui avaient confisqué son tracteur pour défaut d'assurance –, réglant ses seuls extras – des steaks blanc bleu et des bières Rodenbach – en piochant sans se cacher dans les liasses de billets que, se méfiant des banques, il conservait sur lui et dans un tiroir de son buffet. Rien de tel pour aiguiser la convoitise de la bande de jeunes désoeuvrés, Belges et Français tout juste majeurs partageant, en cette zone frontalière voisine de l'agglomération roubaisienne – dite la plus pauvre de l'Hexagone –, leur « peu de perspectives, un milieu défavorisé, une scolarité problématique, une éducation déficiente, de mauvaises fréquentations. »


Quoi de plus facile que de s'en prendre en groupe à un vieillard marginalisé, un « vieux crasseux » exclu d'un monde qu'il ne comprenait plus et qui ne le comprenait pas davantage ? Harcelé et attaqué à plusieurs reprises, Daniel fut laissé pour mort, assommé chez lui à coups de manche de fourche, jusqu'à ce qu'une semaine plus tard, pour effacer toute trace, les assassins revinssent incendier la ferme. Entre temps, ses économies devenaient motos pétaradantes, iPhones et baskets de marques, tandis que fiers de leur exploit, les assassins partageaient ouvertement la vidéo de leur méfait. Pourtant, jusqu'à l'incendie, personne au village ne s'inquiéta jamais du sort de Daniel. Mort ou pas sur le coup, il fut abandonné à son triste sort…


Avec autant de sobriété que d'intelligence et d'empathie, l'auteur qui, constitué partie civile lors du procès qui eut lieu en 2019 à Mons, a pu, n'étant représenté par aucun avocat, interroger les accusés et avoir accès à toutes les pièces, raconte « La société qui exclut. Les jeunes qui ne trouvent pas leur place dans la communauté. Et la victime qui se place elle-même en dehors de la société. Chacune d'elle a contribué au drame. » La mort de Daniel est ainsi « le fruit d'une responsabilité collective », le mépris général pour un vieux marginal replié sur un mode de vie d'un autre temps ayant ouvert la voie à la violence chez les uns, à l'indifférence chez les autres. Pour s'être soustrait à la société, Daniel n'était plus, aux yeux de ses semblables, tout à fait un être humain…


Alors, en même temps qu'il répond au devoir moral de redonner une voix et un visage à la victime, Chris de Stoop pointe, à travers ce tragique fait divers largement resté inaperçu du grand public, la confrontation entre deux mondes : l'un, ancestral mais moribond, de la terre et des paysans dont on ne compte plus les cas d'exclusion désespérée ; l'autre, tout autant en perte de repères dans sa fascination pour l'argent et la société de consommation.


Tué pour quelques milliers d'euros et parce que sa vieille solitude marginale n'intéressait plus personne, Daniel se résume aujourd'hui à cette inscription sur sa pierre tombale : « Une vie rustique, une mort tragique », mais aussi, grâce à Chris de Stoop, à ce livre bouleversant qui dénonce le terrible manque d'empathie de la société envers ses marginaux. Coup de coeur.

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Cet essai raisonne tant il est d'actualité.
Des jeunes, désoeuvrés, fumant souvent, quasi déscolarisés ont tué son vieil oncle et ont filmé leur agression.
Sans envie de vengeance, l'auteur cherche à comprendre.
Il dépeint avec tendresse un oncle qu'il a peu connu et qui avait une vie solitaire.
Il enquête sur ces jeunes ; comment en sont-ils arrivés là ?
La pauvreté, l'oisiveté, des enfances abîmées, des parents dépassés vont nourrir le drame.
Et puis, il y l'oncle, son mode de vie, son attachement à la ferme, ses parents aimés, son frère qu'il protège et un amour impossible.
Le récit est intime.
D'une plume claire, Chris de Stoop donne un visage à cet homme et à ses agresseurs.
C'est poignant et prenant.
Merci à Babelio et aux éditions Globe pour ce beau témoignage.
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On le surnomme "le vieux crasseux ". Daniel à 84 ans. Il vit seul dans sa ferme avec 4 vaches et pas même un chien. Chaque fin de semaine, il va à Saint-Léger faire au supermarché les mêmes courses : un steak de "blanc bleu", quelques bières et du fromage. Autrefois, il y allait juché sur son tracteur bleu. Mais on le lui a réquisitionné faute d'assurance. Maintenant, c'est sur un antique vélo qu'il s'y rend, le poussant à retour, déséquilibré par le sac de courses.
Jadis, Daniel portait beau. On le voit sur les photos jaunies, impeccable entre ses parents et son jeune frère Michel épileptique et un peu handicapé. Il a pris soin de chacun d'eux avec amour et respect jusqu'à les porter en terre.
Depuis, il vit seul, limitant ses contacts à une poignée de personnes qui ont son amitié. Il s'est retiré du monde, s'est exclu de la communauté, ne donnant sa tendresse qu'à ses vaches, sa ferme, ses terres amputées par de trop nombreuses dettes. Toute sa vie, Daniel a été amoureux de la bouchère. Même après qu'elle lui ait dit non, il a persisté à stoppé le tracteur face à la vitrine, la regardant longuement avant de rentrer chez lui.
Maintenant, Daniel a tout du clochard. Vêtements mités, cheveux longs et barbe hirsute, seul son regard à la fois doux et lointain éclaire son visage labouré de rides.

Si j'ai voulu longuement vous présenter Daniel, c'est en grande partie parce qu'au procès de son assassinat, il a été répété qu'en s'étant exclu des autres, il s'était déshumanisé, s'offrant en quelque sorte comme victime à n'importe quel rite expiatoire. Ni homme, ni bête ; un autre, un rébus, un vieux crasseux...

Un jour de 2014, alors que le printemps pointait don nez, deux jeunes de la bande d'Evregnies ont pénétré chez lui, l'ont frappé avec une planche, et lui ont dérobé les 13000 € qu'il cachait sur son ventre.
Jackpot. Scooter, fêtes à gogo et sapes de luxe, les deux gamins se sont vantés, ont montré la vidéo qu'ils avaient faite. Tout le village savait, mais personne n'a bougé. Parce que l'histoire n'est pas finie. Appâtés par tant de billet, les potes ont voulu retourner à la ferme pour la fouiller. L'un d'eux a frappé lourdement la vieille tête avec le manche d'une fourche. Pour ne pas qu'il se relève, ils ont renversé le lourd poêle sur ses jambes, et ont encore trouvé 6000 €.
Daniel a t'il vécu après cette seconde agression ? Certains témoins l'affirment...
Et l'aventure continue... Quelques jours plus tard, tourmentés par l'idée d'avoir laisser des empreintes, les jeunes décident de revenir à la ferme. Ils arrosent Daniel d'essence et l'incendie embrase la ferme, seules les vaches sont retrouvées vivantes.

Dans cet exercice de justice restaurative, Chris de Stoop, qui ne connaissait que peu son vieil oncle, exprime la nécessité de redonner son humanité à cette figure de vieux crasseux. Entre réflexions intimes et digressions sur le procès, il propose dans ce texte un douloureux chemin de résilience.
A quoi tient à valeur d'un homme ? A son appartenance au système ? A ses connexions réelles ou virtuelles ?
Quant à ces jeunes, certes délinquants et lourds de bagages familiaux délétères, comment ont-ils pu pousser si loin la violence? Sont-ils, comme l'affirme l'auteur, les produits d'une société qui fait de la consommation un ersatz du bonheur? Y- a t'il eu un effet systématique lié au groupe, fusionnant les individualités dans un "tout" garantissant l'impunité de chacun?
Chris de Stoop a rencontré chacun des gamins, les voisins, le bourgmestre, les commerçants, la famille.
Il nous livre ses impressions, ses aversions, ses compassions sans jamais flirter avec le jugement.
A la fin, en plus de l'émotion accumulée au fil des pages, il reste cette question lancinante. Quelle est le prix d'une vie?
Un livre sobre, dépouillé, dont la force de frappe est immense...
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Le livre de Daniel n'est pas un roman , c'est le récit - hommage de son neveu Chris de Stoop , journaliste belge néerlandophone.
En mars 2014 , Daniel Maroy , agriculteur de 84 ans est assassiné par des adolescents de Roubaix , attirés par l'argent que Daniel M gardait sur lui .
Un meurtre atroce , d'autant plus que les auteurs ne semblent pas du tout comprendre la gravité de leurs actes .
Chris de Stoop va se constituer partie civile et va essayer d'expliquer l'inexplicable.
J'ai beaucoup apprécié ce récit touchant , très nuancé , la collision de deux mondes inconciliables, celui de Daniel , seul survivant de la famille Maroy , qui vit à ' l'ancienne ' , qui s'occupe encore tous les jours de ses vaches , Daniel M , qui a vécu sa vie entière avec ses parents , qui s'est occupé de son frère malade jusqu'à la mort de celui-ci, qui n'a jamais accepté la vie moderne , seule concession , son tracteur qui lui sert de véhicule .
Le point de basculement sera la confiscation de son tracteur , le vieil homme devra désormais faire ses courses à pied , avec sa perpétuelle liasse de billets .
Un monde figé , un homme têtu , borné , au curieux comportement , il s'est laissé aller complètement , il n'a plus aucun contacts avec sa famille depuis à peu près 30 ans , sa vie sociale se résume aux courses alimentaires qu'il fait une fois par semaine au Colruyt, là il s'achète un steak ' bleu , blanc , rouge .
Il y a un témoignage touchant d'une personne qui a rencontré souvent Daniel M lors de ses achats hebdomadaires, elle écrit une lettre affectueuse à son neveu , pour lui dire qu'elle admirait Daniel .
Il y a une analyse très poussée de la personnalité de Daniel , celui qui n'a pas pu prendre le train de la vie , qui ne s'est jamais marié , malgré une tentative tragi-comique à l'âge de 62 ans .
De l'autre , il y a ces jeunes désoeuvrés, qui aiment l'argent facile , pour frimer . Pour eux , Daniel M , le fermier marginal est la proie idéale , ils ne voient pas en lui un homme mais un sous - homme , complètement déshumanisé , ce qui bien entendu ne cautionne pas du tout la violence
Le procès décrit chacun des accusés au plus proche de leurs personnalités , essaie de comprendre l'enchaînement fatal .
Un récit touchant , sans pathos , oui, un bel hommage à Daniel , un marginal peut être mais un homme libre , intègre . J'ai l'impression d'avoir tellement de choses à dire , ce livre mérite une discussion passionnée .
Merci à Babelio pour ce dernier Masse Critique et aux éditions Globe .
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« le livre de Daniel » est l'enquête menée par Chris de Stoop sur la mort de son oncle, 84 ans, assassiné par des jeunes gens désoeuvrés dans sa ferme délabrée des Maroy.
La mort violente d'un vieil homme qui avait décidé de se mettre en retrait de la société pourrait n'être qu'un fait divers. Mais l'auteur en fait autre chose. Tout en rendant hommage à Daniel, il cherche à comprendre les tueurs.

Le crâne dégarni, la barbe hirsute, Daniel est un peu l'ermite du village. C'est un homme sans histoire… mais qu'est-ce que ça veut dire. Il y a toujours une histoire, une famille, une vie derrière chaque personne. L'auteur raconte tout ce qui a fait Daniel Maroy. Ses parents dont il s'occupera jusqu'à leur mort, son frère épileptique dont il va aussi prendre soin jusqu'au bout, la femme qu'il n'épousera jamais. Pas de télé, pas d'internet, pas de voiture et surtout pas d'argent à la banque.
Un homme bon, une vie simple, retirée de la frénésie contemporaine, juste s'occuper correctement de ses vaches et de ses souvenirs.
Pourtant il fut un temps où Daniel était un homme jovial et sociable. C'était avant. Avant qu'il doive se séparer d'une partie de ses terres, avant qu'Yvette ne lui dise non…

Et ses jeunes qui sont-ils ? Comment ont-ils pu commettre l'irréparable sans se rendre compte de leur cruauté ? Certains viennent du même village que Daniel, d'autres de Roubaix, la ville la plus pauvre de France. C'est une jeunesse égarée, qui cherche sa place et ne voit la vie qu'à travers le prisme de l'argent. L'argent pour s'acheter des fringues de marque, des smartphones, l'argent pour être quelqu'un. Pour eux « le vieux crasseux » n'est pas vraiment un homme.

Ce récit sobre ne verse jamais dans le sensationnel mais je l'ai trouvé très émouvant. A travers ce fait divers, l'auteur aborde des problématiques très contemporaines comme la perte de repère de certains jeunes. Il nous parle surtout des petits agriculteurs à la merci des banques, des mutations de l'agriculture. Entre la modernisation et l'immobilisme, Daniel avait choisi la tradition et la liberté. Comme son homonyme biblique, il n'a pas renié sa foi et a été jeté dans la fosse aux lions. Pour cet homme mort dans une quasi indifférence, ce livre est une sorte de réhabilitation. Je me souviendrai longtemps de Daniel Maroy.
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Récit effroyable dont on ne ressort pas indemne de la lecture.
Chris de Stoop dépeint avec précision une jeunesse déboussolée et n'ayant comme idéal que le paraître et l'instant présent..
Il parle avec tendresse également de son oncle Daniel qui si sa vie n'a pas connu de grands malheurs n'a pas conne de grand bonheur non plus .
Il parle de l'indifférence quasi générale au sein de sa propre famille d'abord puis du voisinage ensuite envers la victime .
Il nous interroge également sur la déhumanisation de notre société et notre responsabilité collective .
Un récit fort , sans complaisance , sans pathos et sans haine.
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Chris de Stoop est un journaliste belge, c'est un homme engagé. Il a notamment enquêté pendant un an (sous couverture) sur un réseau international de trafic d'êtres humains. Dans ce livre, il parle de son oncle Daniel, dont il est l'un des descendants parmi d'autres. Apprenant l'assassinat de Daniel, il a décidé de se porter partie civile au procès des accusés. Pour assister aux quinze jours de réflexions, témoignages etc, il a eu besoin de comprendre. Mieux connaître Daniel, mieux cerner les jeunes fautifs. Non pas pour juger ou obtenir une quelconque réparation, mais pour avoir des explications.
Dans ce recueil, il redonne vie à son oncle, il libère la parole de certains témoins, il analyse les faits, recherchant ce qui a pu pousser des adolescents désoeuvrés à commettre l'irréparable. Bien sûr, ils n'ont pas eu une enfance facile, Ils n'ont pas trop réussi à l'école, ils vivaient dans un coin perdu avec beaucoup de chômage et l'envie d'avoir une moto, un IPhone etc…. Bien sûr c'est facile de trouver des excuses….
Chris de Stoop ne juge pas, il ne tombe jamais dans le pathos. Il raconte Daniel, qui a repris la ferme parentale, qui était amoureux (mais elle a dit non), qui maintenait les traditions et la façon de travailler de ses parents. Il était respectueux de tout ça. Il vivait à l'ancienne, pas de chéquier, pas de télévision…. Il faisait ses courses en tracteur et promenait son argent avec lui. Marginal ? Non, libre.
« Dans sa ferme, derrière ses volets fermés et sa porte barricadée, personne ne pouvait le voir ni l'entendre, il pouvait être simplement lui-même. Libre. »
Pourtant, pour le psychologue qui a parlé aux accusés, « Daniel Maroy s'est déshumanisé lui-même. » Il s'est placé en dehors de la société et les bourreaux ne réalisaient pas qu'ils martyrisaient un humain…. Je comprends aisément que cette phrase est « dérangée » l'auteur.
Il a attendu soixante-deux mois entre le décès de Daniel et le procès. C'est long, très long….Il a rencontré des voisins, des commerçants, les accusés, et il retranscrit tout cela d'une plume vibrante sans haine, ni jugement. Il veut simplement répondre à la question « Pourquoi ? » et il le fait très bien.
Les jeunes ont participé à des degrés divers, ils se sont laissé emporter vers la violence. Ils ont fait les mauvais choix, sans se douter que cela entraînerait des dommages collatéraux dans leur famille. Il est intéressant de voir comment chacun s'est d'abord positionné, rejetant la faute, minimisant ou assumant…Certains seront marqués à vie, par la prison, ou parce qu'ils ne se pardonneront jamais d'avoir agi ainsi. D'autres passeront à autre chose ou seront tiraillés sans cesse, hantés peut-être ….
D'autre part, « le vieux crasseux » comme certains l'appelaient redevient « homme » dans ce texte, il existe, il vit, et le lecteur ne pourra pas l'oublier.
L'auteur aborde des thématiques très actuelles. La difficulté pour les agriculteurs de tenir lorsque l'exploitation est trop petite et qu'un problème surgit (une panne sur un engin agricole et c'est tout un budget qui bascule dans le rouge). le désoeuvrement des jeunes dans les régions ou les villes où ils se cherchent, manquant de tout ce qui leur fait envie et qu'il serait tellement plus cool de posséder. Alors, si de l'argent facile est à portée de mains… D'ailleurs n'est-ce pas le vieux qui les a tentés en montrant ses billets ?
Cette lecture est bouleversante. Chris de Stoop a le bon ton, les mots justes (merci à la traductrice). Son texte l'a sans doute aidé à avancer, il est porteur de sens et a dû faire du bien à tous ceux qui appréciaient Daniel.
NB : Ce livre est resté numéro 1 des best-sellers aux Pays-Bas pendant longtemps.

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« Se cacher est un plaisir, mai ne pas être trouvé est une catastrophe ». D W. Winnicott
« Alors le roi commanda qu'on amenât Daniel et qu'on le jetât dans la fosse aux lions ». Daniel 6, 17
On ne peut effacer l'indélébile.
« Il était plus de minuit ».
Un témoignage, un livre nécessaire qui remet d'équerre un fait divers bien plus grave que le mot-même.
Ici, pas de pathos, de vengeance. C'est un texte en équilibre sur la vérité. Un article de journal froissé, jauni entre deux pages blanches. Ce pourrait être ça ce livre.
Mais Chris de Stoop est concerné par l'affaire . Puisqu'il s'agit de son oncle Daniel, 84 ans, assassiné sauvagement par une bande de gosses déshumanisés.
Il délivre le déroulé des jours qui ont suivi le meurtre. La vie de Daniel et le portrait de cet homme atypique. Sociologique, psychologique, journalistique, finement politique, « Le Livre de Daniel », grâce au perfectionnisme et au professionnalisme de Chris de Stoop (qui a reçu le Prix du journalisme d'investigation de l'association des journalistes d'investigation néerlandaise) s'avère être un outil crucial pour faire bousculer l'implacable et surtout comprendre pourquoi.
Pourquoi Daniel a été atrocement tué à coup de fourche, mais pas que.
S'élève toute l'ampleur et les diktats d'un monde rural en Belgique, en Wallonie. Terre meurtrie, la pauvreté aux abois, un village où la jeunesse s'ennuie et tourne en rond et cogite des plans machiavéliques.
Daniel vit ici, et ce depuis toujours. La ferme Maroy, 18 hectares. C'est lui qui dans les années 70 a acheté un tracteur. Solitaire, célibataire, un peu rustre et bohème, il est tendre comme le bon pain. Glisse entre les ombres. Il ne ferait de mal à personne. Répond aux questions. Ne cherche d'histoires à personne. Lui, qui a veillé sur son frère Michel, fragile et démuni, et qui est décédé à 62 ans. Ils vivaient tous les deux dans l'antre familial. Daniel était respecté, de plus en plus éloigné de la société de consommation. Il désirait se marier un jour certain, trouver l'élue. Mais son apparence quelque peu négligée, une barbe de plus en plus fournie et non entretenue. Il était tel Diogène. La ferme de plus en plus délabrée, lui qui se savait sans survivant. Des courses une fois par semaine, le soir pour ne croiser personne et beaucoup d'argent en liquide sur lui. La banque était pour lui, la peur et le refus. « Ha, je m'en vais quérir mon morceau de Blanc bleu au magasin ».
Une bande de jeunes celle d'Évregnies observent le vieil homme. Marche lente, le dos affaissé, l'âge vulnérable, il est une proie. Il va se faire agresser un soir avec une planche en bois. L'argent volé, il est laissé pour mort. Il savait qu'il était en danger. La bande rôdait. Trop d'incivilités dans le village et le bourgmestre trop conciliant avec cette jeunesse qui dérape.
On ressent un décalage entre ces jeunes qui ne pensent qu'au dernier iPhone 5S. Des habits de marque. Se sentir enfin reconnus. Mais est-ce ainsi ? Comment ces jeunes qui sont comme des lions en cage peuvent-ils évoluer sereinement ? Daniel sera l'emblème d'une faillite sociétale et d'une carence politicienne. Six délinquants sans âme ni recul. Des gamins égarés dans les affres de l'ennui, de la perte de l'estime de soi, l'argent comme le graal, le sésame. Rafael, Arno, Pascal et Ahmed, Rachid et Dylan vont mener une cabale contre Daniel. Un scénario d'enfer, horrible jusqu'au paroxysme de la mort. Plus qu'un meurtre, c'est Daniel, victime, qui subit le fléau sociétal. Ce qu'un monde a comme désespérance et danger. Des jeunes qui vont tuer pour se payer en argent liquide des lunettes Dolce & Gabbana, des nouveaux vêtements, une nouvelle dent pour l'un. Un téléphone, une moto. le décalage entre Daniel, un homme tranquille, droit et sans histoire. Dont les rituels ne sont que de paix, de silence. Mimétisme. Marginal, et seul, bien trop seul. La victime idéale pour la lâcheté.
Le machiavélique complot, jusqu'à l'inonder d'essence et mettre le feu à la ferme, au monde de Daniel.
Ce qui est grave dans ce récit qui rassemble l'épars, c'est la froideur de cette bande qui caracole après le meurtre avec qui de la moto, qui du téléphone. La scène du meurtre a été filmée par Rachid. Puis visionnée entre eux tous. Comme un exploit, une fierté, une mise à mort dans la corrida de l'horreur.
Rachid, qui lui est français, sera arrêté à Lille lorsqu'il s'apprêtait à partir à Nancy pour passer des tests pour rentrer dans l'armée. Paradoxe. Évrignies est un tsunami. D'aucuns recherchent le souffle. le village est montré du doigt. L'horreur implacable est un panneau de signalisation. Les coupables : ils se promènent ici en liberté depuis quatre ans. Je connais leurs familles. Seront-ils présents au procès ? ».
Cinq ans ont passé. Chris de Stoop est partie civile. C'était son oncle et il est garant de la mémoire de Daniel. Comprendre pourquoi. le psychologue dira durant le procès que « c'est la déshumanisation du « vieux crasseux » par le groupe, il n'était pas « un des nôtres ». Je me lève : « ils n'auraient pas agi de la même façon avec quelqu'un de leur monde ? -Non, pour eux c'était un sous homme et cela a favorisé le recours à la violence ».
« Rachid, Ahmed et Arno seront reconnus coupables de vol avec violence et d'homicide volontaire avec intention de donner la mort. Pascal de vol avec violence ayant entraîné la mort, mais sans intention de la donner. Ahmed, Pascal et Dylan sont également condamnés pour incendie ».
La délinquance juvénile est emblématique. La scolarité problématique, milieu défavorisé, mauvaises fréquentations, éducation déficiente. Tous ont ce profil. Mais peut-on tout justifier ? Où se situe la Raison ? Et Daniel ? Où est son regard à présent ?
La conscience universelle mise à mal.
« Le Livre de Daniel » est d'utilité publique. Daniel ici, reçoit sa couronne de roi et l'amour immense de son neveu : Chris de Stoop. Traduit du néerlandais (Belgique) par Anne-Laure Vignaux, ce phénomène éditorial des Éditions Globe est resté n° 1 des best-sellers aux Pays-Bas durant de longs mois.

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Daniel, 84 ans, a été tué par une bande de jeunes paumés qui en voulaient à son argent, dans son village De Belgique. le journaliste Chris de Stoop, neveu de Daniel, veut comprendre...

D'un côté il y avait ce vieil ermite qui avait choisi de se retirer du monde moderne, à l'exception de quelques incursions dans le village pour s'approvisionner. Une silhouette hirsute et solitaire qu'on regarde à peine, aussi délabrée que sa ferme, pourtant derrière il y a forcément eu une histoire, une famille, un homme debout avec sa vie rustique.
De l'autre une bande de jeunes qui l'ont repéré comme une proie facile, sont venus roder, épier, tuer, voler, et sont revenus mettre le feu à la ferme et au corps, avant de dépenser leur butin en vêtements, en téléphone, moto... et comme si tout ça n'était pas suffisamment abo/minable, ils auraient même filmé le meurtre...
Comment peut-on arriver à ce niveau de déshumanisation, c'est le questionnement de l'auteur qui va se porter partie civile au procès des bourreaux de son oncle. Plus on en apprend sur le détail des faits et plus on est accablé par cette violence gratuite et ce qu'elle dit de l'évolution de notre société indifférente. On est d'autant plus frappé par la sobriété du récit et la façon dont Chris de Stoop rend son identité et son histoire à son oncle. Profondément marquant !
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Ce livre m'a tenu en haleine pendant les deux jours qu'ont duré sa lecture tant son enquête et son récit sont menés en réflexion « grande largeur ». du meurtre de son oncle, Daniel Maroy, l'auteur fouille les faits, les circonstances, le procès et ses suites avec le regard centré sur les réactions et comportements de toutes les personnes concernées de près ou de loin par ce drame, à commencer par lui-même.
Qu'en tant que femme je ne sois guère tentée de partager la nostalgie largement exprimée pour le monde agricole d'avant où Daniel se maintenait, le sort des femmes n'y étant pas plus enviable que celui qui leur est réservé au sein des bandes de jeunes en déshérence décrites ici, n'enlève rien à ce magnifique plaidoyer pour le respect des vies qui se mettent à l'écart et s'accomplissent dignement.
Après l'essentiel « Sambre » d'Alice Géraud, « le livre de Daniel » vient à son tour s'inscrire dans la démarche qui enfin se penche avec plus d'attention sur l'atteinte à la personnalité et à la vie des victimes, interroge la responsabilité collective et les défaillances institutionnelles dans leur mission de protection des citoyen/nes quel qu'iels soient.
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