Jamais je n'avais passé trois mois sur le début d'un livre. Maintenant c'est fait. J'ai commencé et abandonné ce roman plusieurs fois à cause d'un début très long et rébarbatif. J'ai même failli abandonner définitivement. Les débuts du narrateur Stingo dans le monde de l'édition sont plutôt barbants. Mais qu'il aurait été dommage d'abandonner. J'ai vécu ces trois dernières semaines presque en apnée avec Stingo, Sophie et Nathan.
Quelques décennies après les événements, Stingo relate sa rencontre avec Sophie et Nathan à Brooklyn et les moments extraordinaires qu'ils ont passés ensemble en 1947, alors qu'il avait 22 ans. Ces moments sont entrecoupés du récit que Sophie lui a fait de son internement et des horreurs qu'elle a vues et subies à Auschwitz-Birkenau.
Petit à petit, nous entrevoyons l'indicible. Il n'est pas possible de raconter d'emblée l'innommable alors Sophie arrange la réalité mais corrige son histoire régulièrement pour arriver à l'impensable mais bien réel, ce choix qu'elle a dû faire. La construction du roman est remarquable. L'auteur nous promène constamment et très habilement dans le temps sur quelques heures, jours, mois ou années. Tout ceci pour nous amener à ce choix.
Heureusement, il n'y a pas que la guerre et Auschwitz. Il y a des moments plus légers notamment quand Stingo nous raconte ses débuts dans la sexualité avec beaucoup d'autodérision. Il nous fait part aussi de son parcours d'écriture car pendant ces événements, il écrit son premier roman. Et la musique est très présente, la bouée de sauvetage de Sophie tout au long de sa vie.
William Styron a mis une grande part de lui-même dans
le choix de Sophie. le jeune Styron, c'est lui : naissance dans le sud, mère décédée quand il était jeune, grands-parents propriétaires d'esclaves, engagement dans les Marines et début chez le même éditeur. Et il fait plusieurs fois référence à
Nat Turner, un esclave, dont il a publié les mémoires imaginaires dans Les
confessions de
Nat Turner.
L'esclavage est très présent dans
le Choix de Sophie et il est mis en parallèle avec le nazisme. Stingo porte lui aussi une culpabilité, différente bien sûr de celle de Sophie. Une culpabilité en rapport avec ce qui s'est passé dans le sud et qui a touché de près sa famille. Et il y aura la culpabilité finale.
Tout est brillant dans ce roman : l'analyse psychologique des personnages, l'écriture, la construction du roman, la reconstitution des camps avec le personnage de Rudolph Hoss qui a réellement commandé le camp d'Auschwitz-Birkenau, l'évocation de la folie des hommes, de celle d'un homme en particulier aussi.
Et tout nous ramène à cette question : comment vivre avec la culpabilité et le désespoir ?
Alors oui c'est un roman difficile à lire à cause de son sujet et de sa longueur et on pourrait penser qu'il serait bon qu'il ait quelques centaines de pages en moins. Qu'on pourrait largement diminuer la quantité de détails et digressions. Mais aurait-il la même puissance ? Un roman très fort donc. Je suis sortie de mon apnée mais ce roman m'accompagne encore alors que j'en ai lu trois autres depuis.
« La question : A Auschwitz, dis-moi où était Dieu ?
La réponse : Où était l'homme ? »