Jean Tardieu a vécu auprès des plus grands écrivains et poètes de sa génération, il n'en tire pas gloire, il le vit comme un acquis, et même se refuse à marcher dans leurs pas, expérimentateur insatisfait, à la recherche d'une torsion toujours plus contraignante des mots des lettres, des sentences.
Ses poèmes, ses romans, ses pièces de théâtre ont été catalogués dans l'irrationnel, l'absurde, l'indicible.
Pourtant , à lire les tours de Trébizonde, (La ville de Trabzon aujourd'hui en Turquie, dont le nom signifie la montagne qui surplombe la ville) on découvre chez Tardieu, une humanité, une compassion, un sentimentalisme, réels.
Il est l'homme commun, qui de sa fenêtre contemple ces tours contemporaines, verre, métal, béton, dans lesquelles le ciel se reflète, les revêtant des milles couleurs de l'aube, de l'aurore, du petit matin, du midi, du soir du crépuscule, de la nuit ; et veilleur fidèle, il enregistre cette vie imperceptible pour l'insensible, donnant ses lettres de noblesse à l'humain luttant pour animer ces monstres inhumains, ("Seule alors en pleine nuit, une vigie, pas plus grosse qu'un timbre collé en haut d'une enveloppe, quelque part sur l'abrupte paroi, révèle encore leur pesante masse endormie").
Dans la ville en fête il devient spectateur : "D'abord viennent les balayeurs, soldats de plume et de paille, aux gestes unis en cadence, troupe aussi nombreuse qu'une harde en foret, aussi policée qu'un ballet de cour."
Ces textes courts, écrits dans les années 1980, nous donnent à voir les villes et leurs habitants comme jamais nous ne les voyons, parés des couleurs somptueuses d'une nature que les peintres ne peignent plus, noyée par la lumière urbaine, atrophiée par les constructions tentaculaires, et pourtant, Tardieu le démontre, elle est là, prêt à surgir, si notre oeil et notre âme le veulent et le décident.
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