Citations sur Le Maître des illusions (263)
C'était monstrueux, certes, mais le cadavre ne semblait guère qu'un accessoire, un objet sorti dans le noir par les machinistes et déposé aux pieds d'Henry afin qu'on le découvre en rallumant les projecteurs ; cette image, muette, ensanglantée, les yeux fixes, ne manquait jamais de produire un léger frisson d'angoisse, mais elle paraissait relativement inoffensive par rapport à la menace très réelle et permanente que faisait peser Bunny et dont, désormais, je me rendais compte.
S'il avait toute sa tête, Bunny ne dirait sûrement rien à personne, mais maintenant, avec son subconscient bousculé de son perchoir qui battait des ailes dans les couloirs déserts de son crâne, en zigzaguant comme une chauve-souris, il n'y avait plus moyen de prévoir ce qu'il allait faire.
Ce soir-là j'ai écrit dans mon journal : " maintenant les arbres sont schizophrènes et commencent à perdre contrôle, enragés par le choc de leurs couleurs nouvelles et ardentes.
C'est terrible, ce que nous avons fait [...]. Je veux dire... ce n'est pas Voltaire que nous avons tué, mais quand même. C'est une honte. Je me sens coupable. (p. 286)
P131
Tu veux bien m'écouter une seconde ?
La glace ralentit ta digestion, le coca calme ton estomac et la cafeine guérit ton mal de tete. Le sucre te donne de l'énergie. Et en plus, celz te fait métaboliser l'alcool plus vite. C'est l'aliment idéal.
J'ai réussi à échapper à mon examen de français, la semaine suivante, grâce à l'excellente excuse d'avoir reçu une balle dans le ventre.
"Edmund était votre ami. Moi aussi, je regrette beaucoup sa mort. Mais je pense que vous vous en affligez au point de vous rendre malades, et non seulement cela ne l'aide pas, mais cela vous fait du mal. de plus, la mort est-elle quelque chose de si terrible ? Elle vous paraît terrible parce que vous êtes jeunes, mais qui peut dire que son sort est moins enviable que le vôtre ? Ou bien - si la mort est un voyage vers un autre lieu - que vous ne le reverrez jamais ?"
Il a ouvert son lexique et s'est mis à chercher sa marque. "Il ne convient pas de s'effrayer de ce dont on ne sait rien. Vous êtes comme des enfants qui ont peur du noir."
Quelquefois, quand il y a eu un accident, que la réalité est trop étrange et brutale pour la comprendre, le surréel l'emporte. L'action se ralentit, glisse comme en rêve, image par image ; le geste d'une main, le son d'une phrase, durent une éternité. Des détails - un criquet sur une brindille, les veinules d'une feuille - sont agrandis, mis au premier plan, précisés de façon aiguë. (p. 148)
A quoi ai-je pensé, en voyant ses yeux s'agrandir, surpris et incrédules ("allons les gars, vous blaguez, pas vrai ?") pour la dernière fois de sa vie ? Pas au fait que je venais au secours de mes amis, sûrement pas; ni à la peur ni à la culpabilité. Mais à des détails. Des insultes, des insinuations, des cruautés mesquines. Les centaines de petites humiliations restées impunies qui me rongeaient depuis des mois et des mois. C'est à cause d'elles que j'ai pu le regarder sans la moindre pitié, le moindre remords, chanceler un long moment au bord de la falaise - battant des bras, roulant des yeux, un acteur du muet en train de glisser sur une peau de banane - puis tomber en arrière à la rencontre de la mort.
Les choses les plus terribles et sanglantes sont parfois les plus belles.