En Angleterre, le soleil est Dieu. On ne le voit pas, il faut y croire. Il ne vient pas, on l'espère. Le voilà, on est déjà parti.
Il s’envoyait un whisky brun au bon fumet de joie en cendre. Cela le changeait de la vodka. Elle a le goût de la mort. Le whisky a le goût du cercueil.
Des fleurs s'abreuvaient aux margelles. Des sous-bois vert tendre faisaient des berceaux de fées dans les renfoncements du relief. Des tapis de jonquilles duraient le socle des rochers. L'herbe avait des airs de moquette très Agatha Christie. Il ne faut pas en vouloir aux vieilles dames anglaises. Ici, même la nature fait de la décoration intérieure.
Tout a changé dans ce monde sauf le roulement de la mer, la grandeur du ciel et la chaleur de la lumière sur la peau. L'une des joies de la vie est de capter ce phénomènes éternels. Il y avait les flammes du feu, le chant des oiseaux, le vent dans les avoines, un sourire parfois à travers une mèche de cheveux.
Quand on veut «vivre ensemble », veiller à pouvoir «rester seul ».
Ce soir-là, au bivouac, sur le tapis d'herbe des secondes fenaisons, je sus que j'avais choisi mon camp : le remember plutôt que le remembrement.
De l'autre côté, en France, le pictogramme avec illustration semi-débile avait envahi les campagnes. « Regardez par ici, ne cueillez pas cela, ne vous couchez pas là, surtout n'approchez pas, sachez que 92,3 % de ceci produit 1/10 de cela. »
La tonalité finale de ces objurgations tendait à ceci : « Pour votre confort et votre sécurité, rentrez chez vous. »
Ainsi une époque exista-t-elle où la splendeur des reines, le silence des dieux, le courage des hommes et la bonté des bêtes fondaient la société.
Oui ! le monde fut un jour conduit par un principe darwinien hérité de la Grèce antique et très oublié aujourd'hui. Ce principe disait : seules triomphent en ce monde la bonté, la beauté et la force. Dans le tournoi, la plus belle revient au plus vaillant.
Affamée, l'Irlande s'était ébrouée au milieu du siècle. Le mouvement Young Ireland, réunion d'artistes et de penseurs, sonna le réveil. Ce fut un combat des arts et des lettres. Il prépara les levées d'armes. En ce temps-là, les poètes amorçaient les insurrections. Deux cents ans plus tard ; « Qu'est-ce qu'un poète ?»
Le mouvement ressemblait à son siècle. Partout en Europe, la révolution industrielle annonçait l'abolition de l'homme. Des cœurs purs entrevoyaient ce que le progrès leur ferait perdre. Déjà la modernité donnait sa forme au monde. Hideuse. La pollution, ombre du progrès, s'infiltrait dans les cœurs. Un siècle et demi plus tard on en est à se demander si on pourra sauver les meubles.
Benoît s'abîmait dans Lévi-Strauss. Humann découvrait le cycle arthurien et la quête du Graal par les chevaliers de grand chemin : « Ils ne savent pas ce qu'ils cherchent, ils ne trouvent pas ce qu'ils veulent, ils ne veulent pas que ça s'arrête. »
_ On dirait nous, dit Benoît.