Humann nous confia qu'il reviendrait au bord de son lac chéri. Au Baïkal, il s'inventerait une nouvelle vie. Il n'y avait aucune autre rive sur laquelle il voulait mourir. Après tout, on pouvait se montrer slavophile sans être russolâtre, et russisant sans virer kremlinophile.
Quand le ciel fut sombre, les rochers devinrent des gueules de Daumier avec nez protubérants et mentons en pointe. Les géologues appellent anémomorphose la sculpture par le vent des grimaces de la roche. Le vent fabrique la fée.
J'avais oublié la différence entre l'alpinisme et la navigation. L'alpinisme consiste à sauver sa peau. La navigation à réparer son bateau.
On tourna la pointe. Le sentier remontait vers le nord. Les promontoires se succédaient, alignés pour le départ. Entre chaque dent : la strie d'écume, mauve du soleil. Les vagues se succédaient en rangs volontaires. L'univers est un rythme. La mer n'est jamais lasse. La terre se retient. Il y a la mer imperturbable, la terre impreznable, le mouvement perpétuel, le ciel impassible et l'homme parfaitement égaré.
Quand on veut "vivre ensemble", veiller à pouvoir "rester seul".
La féerie d'un lieu peut se définir par son charme. Le charme est le nom de la beauté domptée par la douceur. On peut composer l'image de cette féerie-là comme on fait un bouquet. Elle est méticuleuse plus que grandiose. Y entrent la lumière saupoudrée d'un feuillage, la sonate d'un filet de source, la courbe d'un muret ombragé d'arbres lisses. C'est un creuset pour les heures en paix. L'esprit s'y rassure, l'âme s'y attendrit, le corps s'y repose. On pense à Rousseau couché au fond de sa barque. On jouit de la filtration de la vie par la subtilité du lieu.
Le temps tramait ses nœuds.
Le paysage assurait la navette.
Le métier à tisser s’appelait l’Histoire.
L’étoffe était la nature.
Le poète dessinait le motif final.
Trempez un poète dans un lac : c'est le lieu qui se trouve béni.
Le vent désorganisait la vie. Lofter, virer, border, choquer, reprendre, abattre, remonter... Naviguer, c'est dégainer le bon verbe.
Heures au carré sur la table inclinée par la gîte. À bord comme en montagne : la vie en pente.