Le poste, l'abri, la cabane, la tente deviennent palatiaux pour peu qu'on les ait conquis. Là réside une définition du luxe : dans la cessation de l'effort davantage que dans la sophistication ou l'abondance des jouissances. Le luxe, c’est le comblement.
On avait pris l'orage au sommet des Charmoz, cru se fendre le crâne au pic de Bure, vécu des nuits de princes aux Grandes Jorasses, sur des replats larges comme une table de nuit. Dans le Hoggar, au Mont-Blanc, dans le Verdon, sur les parois d'Espagne et d'Italie, on s'était persuadés que le salut est la fuite. Et nous préparions la cavalcade suivante, une fois oubliés nos serments de ne jamais recommencer. Nous repartions toujours. Le mouvement résout tout.
À ski, nous poursuivions un rêve d'enfant : l'école buissonnière géante. Nous aimions relier des lieux inaccessibles par des endroits infranchissables. Ce gymkhana était notre jeu. Et franchir une frontière à pied un exercice que nous ponctuions de "ciao bella" aux cimes blanches. Nous avions des arrières. Quelqu'un nous attendait quelque part, définition de la richesse.
Le vent se leva à midi et le grésil torgnola le monde. J'allais pendant des semaines vivre ces alternances de grâce et de peine. À chaque fois que le monde me révélerait sa beauté, il faudrait que j'en payasse la joie par une paire de gifles !