Je vous avais promis la chronique d'un livre sur la perception des enfants de Hitler et sa clique au pouvoir, mais il se trouve qu'hier j'ai reçu l'ouvrage de
Rita Thalmann "Être femme sous le IIIe Reich", et je me suis dit : d'accord, "Ladies first".
Le livre n'est pas tout neuf, puisque édité par Robert Laffont en 1982, mais il constitue, à mes yeux, encore toujours la meilleure approche et compte-rendu de la situation de la femme dans ce régime tout à fait particulier qu'a été le nazisme en Allemagne.
Car
Rita Thalmann (Nuremberg 1926-Paris 2013) sait de quoi elle parle, comme historienne et professeur à l'université Paris-VII. Sa bibliographie comporte plusieurs oeuvres importantes, tel son ambitieux "
La Mise au pas. Idéologie et stratégie sécuritaire dans la France occupée : 1940-1944" de 1991 ; son célèbre "La Nuit de cristal" de 1972 et son clair et concis "
La République de Weimar", parut dans la collection "Que sais-je" en 1995.
Comme juive elle a fui avec ses parents l'Allemagne pour s'installer à Dijon. Peu après leur arrivée, elle voit ses parents disparaître : son père est arrêté et envoyé à Auschwitz , où il meurt, tout comme sa mère, de faim, à l'hôpital psychiatrique de la Chartreuse de Dijon.
Son message essentiel est la colossale duplicité de l'idéologie nazie par rapport au statut spécifique de la femme : d'un côté une glorification "romantique" et naïve de la femme, de l'autre côté des pratiques et une propagande assurant sa soumission à l'homme. Il y a, bien entendu, eu une évolution pendant les 12 longues années, mais plutôt défavorable aux femmes. Et c'est ce que
Rita Thalmann, avec son érudition et rigueur scientifique, s'emploie à démontrer. Sa logique et argumentation sont tellement convaincantes, qu'il faudrait disposer d'une solide dose de mauvaise foi ou avoir l'esprit carrément tordu, pour ne fût-ce qu'essayer de lui contredire.
Pour une fille et une jeune dame de nos jours, cela doit être tout à fait aberrant de penser que des millions de personnes aient pu, à une époque finalement pas si lointaine (mettons 3/4 de siècle), croire à ses monumentales bêtises. Même moi, qui ai pourtant lu pas mal au cours des années sur cette période historique, ai été plusieurs fois surpris, en lisant cet ouvrage, jusqu'où la folie nazie pouvait aller !
C'est surtout cette dichotomie entre l'image et la réalité qui a réussi à me choquer.
Devant une telle "réalité", la question qui se pose est inévitablement : comment a-t-on pu en arriver là ? Il y a bien sûr la superpuissante machine de propagande du nabot Goebbels, mais ça n'explique pas tout. Il y a même eu des femmes intellectuelles, comme par exemple Guida Diehl, directrice culturelle du NS-Frauenschaft ( l'organisation politique féminine national-socialiste) et auteur de plusieurs ouvrages, comme "La femme allemande et le national-socialisme", de 1933, dans lequel elle note le plus sérieusement du monde : "Tandis que l'homme devient un être humain par l'affirmation de lui-même, la femme le devient en renonçant à elle-même " ?!?
En fait, le monde nazi était un monde masculin, où les femmes étaient à leur service, selon la formule des 3 K, "Kinder, Küche, Kirche" (enfants, cuisine, église) attribuée au roi
Guillaume II. Pas de place pour elles aux échelons supérieurs de l'État et du Parti unique, mais plein de places dans les champs, pour remplacer les hommes au front, et dans les usines d'armement. Une infime minorité de femmes pouvait se vanter des honneurs de la part des grands manitous du régime. Parmi ces exceptions, citons le cas d'
Hanna Reitsch (1912-1979), aviatrice méritoire, testeuse des "Stukas" (bombardiers) et du 1er avion-fusée du monde, mais qui ignorait qu'on gazéifiait à Auschwitz et ailleurs ? Et celui de la célèbre réalisatrice des films de propagande,
Leni Riefenstahl (1902-2003), créatrice de "Le triomphe de la volonté" , "Les dieux du stade" etc. Et dont un critique du cinéma a dit : "artistiquement, elle est un génie, politiquement elle est une imbécile".
Deux chapitres de cet ouvrage sont singulièrement intéressants. Dans l'un
Rita Thalmann explique le fameux mythe de la complémentarité des sexes et comment les femmes furent mises au pas, évictées des cadres et soumises au numerus clausus dans l'enseignement supérieur. Dans un autre, titré "Le service maternel", elle éclaire l'obsession nataliste, la reproduction raciale et la sexualité planifiée, comme l'organisation de bordels près des casernes et le fameux programme "Lebensborn" visant la création d'une race aryenne pure. En France, à Lamorlaye, sud de Chantilly.
Sur la couverture de l'ouvrage de
Rita Thalmann on peut admirer une photo de Herr
Adolf Hitler entourée de femmes en tenue dirndl de dimanche.
À l'intérieur, il y a d'autres clichés révélateurs, tel celui de la famille idéale nazie : une femme et son mari, en uniforme, poussant une voiturette avec 4 garçons (futurs SS, Gestapo, ou simples soldats ?), ou celui des auxiliaires de transmissions défilant sur les Champs Élysées, ou encore celui des gamines (10 à 14 ans), porte-drapeaux des "Jungmädel" (les fillettes des jeunesses hitlériennes) en uniforme et très inspirées, mais assurément pas par des idéaux qui ont coûté la vie à
Sophie Scholl (1921-1943) par exemple.