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Critiques filtrées sur 3 étoiles  
On l'a déjà dit maintes fois : recevoir un prix Nobel de littérature peut être fatal à la créativité d'un auteur. La liste des écrivains qui n'ont plus fait grand-chose après est longue. Mais Olga Tokarczuk (prix Nobel 2018) semble assez immunisée contre le phénomène. Avec Empusion elle livre un roman sympa avec de nombreux éléments gothiques, et un twist final, comme elle en a l'habitude, mais aussi avec une réflexion philosophique sur le visible et l'invisible, un autre thème central de son oeuvre.

Il est désormais évident qu'elle fait fortement référence au roman magistral de Thomas Mann, La Montagne Magique: le jeune étudiant polonais Mieczyslaw Wojnicz qui vient se faire soigner dans les montagnes de Silésie ressemble trop beaucoup à Hans Castorp à Davos, et le livre est rempli de conversations intellectuelles. Mais lorsqu'un cadavre féminin s'avère allongé sur la table de la salle à manger de sa résidence dans le deuxième chapitre, il est clair que Tokarczuk va adopter une approche différente. D'abord il y a l'accumulation de déclarations misogynes de la part de l'entreprise – comme le souligne Tokarczuk à la fin, il s'agit simplement de citations de noms éminents de l'histoire intellectuelle occidentale – mais ce n'est qu'une trace entre autres. Vers la fin, cela aboutira à une révélation sur l'étrange « maladie » dont souffre le délicat Mieczyslaw.

Dans le même ordre d'idées, mais de manière beaucoup plus large, elle indique à travers les observations et les réflexions du jeune homme à quel point la réalité est insaisissable et ténue (le terme est une référence bien choisie aux basses montagnes où se déroule le roman) et comment nous devons mieux prendre en compte un côté obscur qui reste caché, mais qui intervient irrévocablement dans nos vies. La devise en tête du livre, de Fernando-Pessoa, l'annonçait déjà : « La lumière du soleil reste la directrice du monde observable. L'inconnu nous guette depuis l'ombre." Et le livre est également parsemé de passages dans lesquels Mieczyslaw s'entraîne à voir à travers cette ombre, explorant des approches autres que celles apparemment rationnelles : « Il se tenait maintenant nu devant le placard ouvert. le petit miroir craquelé au-dessus du lavabo reflétait son corps, divisé en morceaux, comme si cette image faisait partie d'un puzzle plus vaste, pour lequel chacun de nous avait eu toute une vie à reconstituer […] Dans son cerveau, il voyait , comme aux fenêtres d'une immense pièce, quelles formes prendrait son avenir […]. Il se sentait nombreux, multiples, multidimensionnels, composites et complexes comme un récif de corail, comme un mycélium dont la véritable existence était souterraine.

Ainsi, ce roman, bien plus que La-Montagne-magique de Mann, semble s'éloigner de la pensée binaire (visible-invisible/homme-femme/raison-sentiment, etc.) et rechercher des sphères plus fluides. le fait que nous soyons ainsi arrivés à un thème typique de Tokarczuk est également illustré dans ce livre par l'apparition - comme dans ses livres précédents - d'êtres intermédiaires (ici des 'Tuntschi') qui contribueront au dénouement de l'histoire à la Walpurnis. Je dois avouer que Olga Tokarczuk n'est pas Thomas Mann, et son histoire est un peu moins fascinante que son célèbre exemple. Mais, bien sure, j'ai bien apprécié cette lecture, dans un style très classique.
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Olga Tokarczuk, née en 1962 à Sulechów en Pologne, est une femme de lettres polonaise. Elle étudie la psychologie à l'université de Varsovie et durant ses études travaille bénévolement avec des personnes souffrant de troubles mentaux. Après avoir terminé ses études, elle devient psychothérapeute. A partir de 1997, elle se consacre entièrement à l'écriture, se disant inspirée par William Blake. Olga Tokarczuk obtient le prix Nobel de littérature en 2018. le Banquet des Empouses sous-titré Roman d'épouvante naturopathique, vient de paraître.
En 1912. Mieczyslaw Wojnick, jeune étudiant polonais à la délicatesse toute proustienne, arrive au sanatorium de Görbersdorf en Basse-Silésie, pour soigner sa tuberculose. Faute de place disponible dans l'établissement, il est logé dans une pension pour messieurs, en compagnie d'une poignée d'autres hommes malades eux aussi.
Dès les premières pages, nous devinons que Wojnick dissimule un secret intime quand il use de stratagèmes pour éviter de se déshabiller entièrement lors des examens médicaux. A ce mystère s'en ajoute un second quand on découvre le corps pendu de la femme du patron de la pension ; et pour que l'ambiance mystérieuse s'amplifie, une rumeur locale circule au sujet d'un cadavre retrouvé l'an passé dans la forêt, une sorte d'habitude se répétant chaque année en novembre…
Un roman qui sous des dehors frisant avec l'épouvante soft guère éloignée de la science- fiction (les Empouses), en instaurant une atmosphère de secrets tus par les locaux (meurtres rituels, sorcières), de rumeurs colportées par les uns et les autres (c'est l'aubergiste qui aurait tué sa femme) et de situations légèrement inquiétantes, traite de sujets importants et parfois philosophiques.
Le plus évident c'est la critique de la misogynie. Les patients logés à la pension passent leur temps à discuter de mille et un sujets, et toujours en viennent à y faire intervenir leur conception de la personnalité de la femme dans des termes qui laisseraient bouche bée aujourd'hui : « Un homme peut vaincre certaines tentations délirantes grâce à sa volonté, or, puisque la femme en est presque toujours privée, elle n'a aucune arme pour se battre. » En laissant ces hommes s'exprimer sans contradicteurs et par un effet d'accumulation, la niaiserie de leurs propos est affligeante pour eux.
Seul Wojnick ne dit rien, il écoute, n'ayant aucune expérience féminine dans le sens traditionnel où on l'entend. Il va découvrir qu'il incarne néanmoins le lien parfait entre masculinité et féminité, et la chrysalide de devenir papillon…
Pas mal du tout.

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Or donc, un jeune tuberculeux part en cure dans un village mystérieux proche d'une forêt tout aussi étrange. le contexte rappelle évidemment La montagne magique de Thomas Mann et le roman est construit à partir de nombreuses ''paraphrases'', dixit l'auteure en fin d'ouvrage, de propos misogynes de personnalités connues, à travers des dialogues dignes des Brèves de comptoir. A citer aussi des anachronismes certainenent voulus (complotisme par exemple). C'est érudit et impressionnant, mais en même temps la lecture m'a paru assez ennuyeuse tant la démonstration l'emporte sur le romanesque.
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Des livres d‘Olga Tokarczuk, prix Nobel de littérature 2018, j'en ai plein la bibliothèque, non lus évidemment. Certains ont été ramenés droit de Pologne, son pays natal. Il a donc fallu que j'attende ce début 2024 pour lire pour la première fois l'une des plus importantes, femmes de lettres de la littérature polonaise actuelle avec ce roman, paru chez Les Editions Noir sur Blanc, qui semble être le pendant bien plus sombre de la Montagne Magique de Thomas Mann. Pour qui l'a lu, le voyage du tuberculeux Mieczysław Wojnicz à destination d'un sanatorium ne peut manquer d'évoquer le chef-d'oeuvre de l'auteur allemand. À mon sens, Olga Tokarczuk se doit d'être lue, au moins pour le fait que féministe, elle est pro-européenne et défenseure des droits des minorités en Pologne, en total désaccord avec le gouvernement conservateur actuel.


Le thème soulevé une fois par la mort absurde de madame Opitz revient régulièrement, et sa dépouille mortelle inquiète les esprits. Mieczysław n'est pas sans avoir remarqué que chaque discussion, qu'il soit question de la démocratie, qu'il soit question de la cinquième dimension, du rôle de la religion, du socialisme, de l'Europe ou enfin de l'art moderne, finit toujours pas les conduire à parler des femmes.

Nous avons donc une liste en début de roman de tous les personnages inclus dans l'histoire, ce qui s'avère être plutôt une riche idée. Elle est édictée par des narrateurs inconnus qui suivent à la trace Mieczysław Wojnicz, jeune étudiant en ingénierie en, qui nous provient de Lwow. Nous sommes à la mi-septembre dans la gare de Dittersbach. Wojnicz est malade, une calèche l'embarque direction la Silésie, Göbersdorf, en allemand, Sokolowsko, en polonais, et sa « pension pour Messieurs », qui jouxte le sanatorium de la région. C'est dans cette pension qu'il passera l'intégralité de son séjour, le sanatorium n'ayant plus de place vacante pour le loger en pension complète. C'est là où il y rencontrera tous ses acolytes, à commencer par le tenancier, Wilhelm Opitz. À ce point-là du roman, on a compris que la focalisation était interne, avec un narrateur omniscient qui n'est pas Wojnicz, en revanche, l'identité des narrateurs est encore bien mystérieuse.

Lentement, ce narrateur se révèle être des narratrices, les habitantes des lieux, des esprits capables de se faufiler entre les fentes du plancher, « ces Empouses, spectres de la déesse Hécate ». Wikipédia nous dit que l'Empouse est une créature fantastique, sorte de démon femelle. Ce sont des spectres qui « peuplent les nuits de terreur ». Hécate est la déesse de la Lune, de la magie et des limites. Car de la magie, de l'inexpliqué, il y en a à foison dans le roman de l'autrice polonaise, avec tout d'abord cette atmosphère pesante dans laquelle se débattent plutôt qu'évoluent les personnages, une ambiance ponctuée de mystère, qui n'est d'ailleurs pas sans rappeler celle de la Montagne magique. Sauf qu'ici, on sait que ce sont ces étranges esprits féminins qui observent et racontent, épient ce groupe d'hommes divers et variés, unis par la maladie, et pour la plupart, par une misogynie asphyxiante.

Roman d'épouvante naturo-pathique : effectivement, il y a un brin d'épouvante dans les morts énigmatiques incrustées dans l'histoire des lieux, et d'abord par celle de l'épouse du tenancier, Klara Opitz. Car notre Mieczysław Wojnicz, dont les Empouses empruntent la focalisation, va découvrir que des meurtres se déroulent dans ces lieux, chaque année à la même date. La mort rode, non seulement par la maladie de chacun, mais par les décès inexpliqués dans ce lieu, où la nature et ses éléments sont maîtres et maîtresses. Une sensation de malaise d'autant plus accentuée, qu'outre les problèmes physiologiques que rencontre notre étudiant, ce dernier a son équilibre mental aussi fragilisé.

Étangs et bois, torrents et sentiers caillouteux et sinueux, le futur ingénieur oscille entre auberge et promenades au sein de la nature, collectionnant les feuilles mortes, se dirigeant dans l'obscurité de la forêt. Tout se cache dans les interstices sombres, là où la lumière se garde bien de passer. Dans cette galerie ou il n'y a que des hommes, dans cette famille même où Mieco a grandi entouré d'hommes, tous entretiennent leur misogynie, qui va même jusqu'à attribuer un sourire libidineux à la Joconde, dans cet entre-soi, où la femme est figurante et en tant que telle s'incarne davantage par toute la nature, des mantes religieuses, des Empouses, ou même sculpture antique. Il n'y a que des hommes ici, et pourtant tout ne tourne qu'autour des femmes, car les hommes ne sont plus que les jouets de ces esprits magiques. Ce roman m'a vraiment déconcertée et continue à le faire, il emprunte de nombreuses références mythologiques, philosophiques, picturales, historiques et géographiques, ainsi que littéraires qu'il faut conjuguer toutes ensemble pour obtenir, ou tenter du moins, un début de sens à la signification de ces entités féminines et voraces. Avec une fin encore plus troublante que le reste du roman, avec la disparition de Mieczysław Wojnicz et la résurrection improbable de l'épouse de l'aubergiste, Mme Klara Opitz (je vous laisse découvrir le pourquoi du comment.).

Pour mettre un point final à son histoire, l'autrice a inscrit une note qui détaille toutes les personnalités dont elle a paraphrasé les passages misogynes, comme un ultime pied-de-nez à ces hommes qu'elle a créés, et ils sont légion semblerait il. J'ai terminé ce roman avec encore des interrogations en tête, il faut dire qu'entre l'influence platonicienne en référence au Banquet, de ces Empouses qui discourent l'amour. Elle invente sa propre mythologie féminine en unissant plusieurs de ses mythes, Empouses, Tuntschis, Sorcières, mante religieuse, se jouant sérieusement de toute cette ribambelle de misogynie fate et ignare, et notamment entretenue par l'ambiguïté du personne principal Mieczysław Wojnicz. Un roman mystérieusement fascinant.
Lien : https://tempsdelectureblog.w..
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