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sur 902 notes
Enchanteresse Olga Tokarczuk. J'ai adoré ce sublime et fascinant roman assez inclassable mêlant savamment ésotérisme, mysticisme, écologie et réalisme magique sous fond de polar. L'autrice interroge avec une grande poésie notre rapport systémique à l'univers, à l'humanité, la nature et surtout aux animaux. le roman s'ouvre sur le réveil brutal en pleine nuit, par un voisin affolé, de Janina Doucheyko enseignante et ancienne ingénieure vivant dans une contrée isolée de Pologne près de la Tchéquie. Il vient de faire une macabre découverte. Elle le suit dans la nuit glacée jusqu'à la maison de « Grand Pied » un braconnier misanthrope dont le cadavre gît dans la cuisine. D'autres morts suspectes vont suivre et intriguer la police. Dénominateur commun : toutes les victimes sont des hommes passionnés de chasse. Fait troublant sur les lieux du crime et sur certains corps on retrouve des traces animales. Une théorie germe alors dans l'esprit de Janina, dictée par son intuition : cette vieille marginale un peu « toquée », lunaire, extravagante mais aussi attachante, extralucide à ses heures, pense que tous ces crimes ont été perpétrés par des animaux pour se venger de leurs tortionnaires. Entre deux traductions des poèmes de W. Blake cette végétarienne férue d'astrologie étudie l'influence des planètes, les éphémérides et le thème astral des victimes cherchant la cause de leur mort dans la conjonction des étoiles persuadée que nos destins sont inscrits quelque part dans l'immensité des espaces interstellaires et corrélés à la configuration des planètes. Considérée comme une folle aux propos délirants par la police ses lettres de contestation contre la maltraitance des animaux sauvages et ses dépositions sur sa théorie demeurent lettre morte. Pessimiste elle voit le monde « à travers une vitre fumée ». Elle vit en symbiose avec les animaux si bien que chacune de leur mort est un deuil insupportable et chaque acte contre eux réveille en elle une colère presque divine. Elle recueille leurs restes, les rassemble et les enterre dans un cimetière près de chez elle ou les conserve dans des boites avec l'espoir qu'un jour ils pourront renaître grâce au clonage.
Connectée aux forces telluriques et célestes elle ressent le monde comme une « toile gigantesque » formant un tout où chaque être vivant est interdépendant et sous influence cosmique. Cet être authentique et hypersensible à la vie intérieure très riche nous embarque dans son étrange quotidien accompagnée de ses amis à la frontière du réel tous ses sens aux aguets dans un décor de congères sculptées par le vent glacial. Malmenée par des maux étranges et inexpliqués qui la saisissent à l'improviste elle poursuit malgré tout son enquête parallèle jusqu'au dévoilement de l'étonnante vérité. Ce plaidoyer vibrant pour la cause animale ponctué de réflexions métaphysiques servi par une écriture intense est un roman d'atmosphère nimbé de mystère, profond et envoûtant à lire absolument. Une pure merveille.
Je dois cette lecture à la superbe chronique de HordeduContrevent merci à elle
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On ne va pas se mentir, je n'avais jamais entendu parler de Olga Tokarczuk jusqu'à l'obtention de son récent prix Nobel. Je me suis donc rendue chez mon libraire qui m'a conseillée d'entrer dans son univers par son roman le plus accessible, Sur les ossements de morts, donc.

Ce que je retiens avant tout de cette lecture vraiment surprenante, c'est d'abord son incroyable et personnage principal : Janina Doucheyko, ingénieure à la retraite, vivant esseulée dans un hameau de la région des Sudètes, au fin fond de la Pologne, à la frontière tchèque. Tout le monde la prend pour une vieille cinglée. Faut dire qu'elle est bourrue, facilement paranoïaque et complètement toquée d'astrologie, obsédée par l'idée que le thème astrologique d'une personne pourrait révéler la date de la mort. Et pour découvrir quelles planètes jouent le rôle des Moires, elle récolte, compulse des milliers de dates de naissance et de décès.

Surtout, elle propose une lecture très personnelle des étranges crimes qui frappent le hameau. Des braconniers, des chasseurs meurent mystérieusement, elle y voit un juste châtiment pour punir des êtres abjects, une vengeance de la part des biches qui se transformeraient en tueuses subtiles. Magnifique idée qui apporte une touche presque fantastique à ce faux polar, amplifiée par les descriptions poétiques d'une nature rude et par les apparitions des fantômes de la mère et de la grand-mère de Janina.

Le récit est très intelligemment menée, chaque détail compte, et l'écriture ciselée de Olga Tokarczuk plonge le lecteur dans une ambiance très singulière qui pousse à la réflexion. S'il y a bien un dénouement qui permet de résoudre brillamment l'enquête, la trame policière n'est en fait qu'une toile de fond prétexte à un portrait corrosif de la société polonaise des marges, et de façon plus universelle, à une fable sur notre rapport à la nature et aux animaux. On est clairement dans de la littérature engagée, mais sans lourdeur ou manichéisme, et surtout avec un sacré sens de l'humour, noir, forcément, comme en témoigne les toutes premières lignes :

« Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tels que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où l'ambulance viendrait me chercher en pleine nuit. »

Une vraie découverte comme je les aime en littérature, déroutante et intelligente.
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Quelle femme mais quelle femme cette Janina Doucheyko, personnage principal incroyable et haut en couleurs de ce livre "Sur les ossements des morts", femme à laquelle je me suis tant attachée. Je la quitte avec regret. J'ai aimé partager sa solitude dans sa maison isolée et rudimentaire dans la région des sudètes, j'ai aimé marcher à ses côtés dans cet hiver rude, j'ai parfois explosé de rire tant ses pensées sont pétillantes, étonnantes, sincères, voire philosophiques, j'ai parfois été émue aux larmes face à sa sensibilité et son amour pour les animaux qu'elle défend contre vents et marées. Une femme féministe à sa manière, sensible, drôle, engagée. Libre. Malgré son corps vieillissant, douloureux.

"J'ai parfois l'impression d'être tout entière composée de symptômes de la maladie – un fantôme fait de douleurs. Quand je n'arrive pas à m'apaiser, je m'imagine que mon ventre est doté d'une fermeture Éclair, depuis le cou jusqu'au périnée, et que je l'ouvre lentement du haut vers le bas. Je retire ensuite mes bras, mes jambes, je sors ma tête. Je quitte ainsi mon propre corps qui tombe à mes pieds comme un vieux vêtement. Je suis plus menue, plus délicate, presque diaphane. J'ai un corps de méduse, blanc, laiteux, phosphorescent. Cette petite fantaisie est encore en mesure de m'apporter du soulagement. Oui, elle me rend libre."

Bon libre certes, mais tout le monde la prend pour une folle, il faut avouer qu'elle est un peu bourrue, bien embêtante par moment car très insistante notamment auprès des autorités, elle dit ce qu'elle pense, ose exprimer sa colère, et est obsédée par l'astrologie et son influence sur la vie des gens. Elle collectionne ainsi les dates de naissance et de décès pour établir des schémas, trouver des explications. Elle est persuadée que le thème astrologique d'une personne permet de déterminer la cause de son décès à venir et même la date du décès. Elle insiste, explique à qui veut bien l'entendre, à la police surtout sa théorie à propos des morts mystérieux découverts dans le hameau, mais c'est peine perdue : « Quand on arrive à un certain âge, il faut accepter le fait que les gens se montrent constamment irrités par vous. Dans le passé, j'ignorais l'existence et la signification de certains gestes, comme acquiescer rapidement, fuir du regard, répéter « oui, oui » machinalement, telle une horloge. Ou bien encore vérifier sa montre ou se frotter le nez. Maintenant, je comprends bien ce petit manège qui, au fond, exprime une phrase toute simple : « Fiche-moi la paix, la vieille. » Il m'arrive parfois de me demander quel traitement on réserverait à un beau jeune homme qui dirait la même chose que moi. Ou à une jolie brunette bien roulée. » Personne ne veut croire sa théorie selon laquelle ces hommes ont été tués par les animaux qui se vengent d'eux, tous étant des tueurs d'animaux, chasseurs ou braconniers. Une juste vengeance. Des animaux qui se vengeraient…Une cinglée…

Pendant que ces hommes la prennent pour une folle, son regard est acéré, ses pensées sans pitié envers la gente masculine ou les ecclésiastiques (ce fameux curé Frou-frou), voyez plutôt : « Il se leva d'un geste décidé, et je vis alors son ventre proéminent que la ceinture en cuir de son uniforme avait du mal à contenir. Honteux, prêt à se cacher n'importe où, ce ventre glissait vers un endroit aussi inconfortable que délaissé, c'est-à-dire vers les parties génitales. » J'adore, j'adore ses réparties, son humour noir, c'est un régal…mon livre finit dans un piteux état, tout corné, tant ce livre est rempli de telles formules à la fois brillantes et qui invitent très souvent à la réflexion. L'écriture de Olga Tokarscuk est ciselée, fluide, pétillante à l'image de son personnage.


Janina est devenue presque une amie à la fin du livre et je ne devrais pas la nommer Janina, elle déteste son prénom, je devrais l'appeler disons La Rusée, elle en serait ravie, j'en suis certaine : « Quel manque d'invention, tous ces noms et prénoms officiels ! On ne s'en souvient jamais, tant ils sont banals, détachés de la personne qu'ils sont censés représenter et qu'ils ne représentent en rien. de plus, chaque génération obéit à ses modes, ce qui fait que soudain tout le monde s'appelle Margot ou Gabriel, ou encore – Dieu vous en préserve ! – Janina. C'est pourquoi j'essaie de ne plus employer les noms et les prénoms des gens, mais plutôt des qualificatifs, des épithètes, qui me viennent spontanément à l'esprit lorsque je vois une personne pour la première fois. Je reste persuadée que c'est la façon la plus adéquate d'utiliser une langue, au lieu d'agiter simplement un tas de mots dépourvus de sens. ». J'irais bien la retrouver en Tchéquie là où elle est désormais, la Rusée. Elle me ferait un de ces thés noirs, bien noirs, dont elle a le secret.

C'est le deuxième livre que je lis d'Olga Tokarczuk et je suis de nouveau émerveillée mais d'une toute autre façon…si les figures féminines de « Dieu, le temps, les anges et les hommes » m'avaient amenée dans un univers onirique et médiéval, un univers de conte de fées, cette fois cette figure féminine m'a touchée par sa proximité et son engagement, cette façon de dénoncer tout en nuance et sans lourdeur…et surtout n'est-ce pas la meilleure façon d'aborder la vieillesse que cette liberté, liberté de ton, liberté de mouvement, liberté de pensée ?…Je crois bien que je rêve de devenir une Janina Doucheyko, d'avoir sa force et son courage, sa beauté mue par une telle bonté, de connaitre ce rapport à la nature et aux animaux. Quelle merveilleuse fable, quel beau plaidoyer poétique …

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Se pourrait-il que les animaux se vengent des hommes qui les chassent ?

C'est en tout cas ce qu'il se passe alentour de ce petit village polonais des Sudètes, en bordure de la Tchéquie, où les morts se succèdent avec exubérance.

C'est là que vit Madame Doucheyko, la narratrice végétarienne, ingénieure des ponts retraitée, puis professeure d'anglais et de travaux manuels à l'école du village.

Madame Doucheyko déteste son prénom, comme ceux des autres qu'elle affuble de sobriquets (Grand Pied, Bonne Nouvelle, Glaviot, Froufrou, Manteau noir). Elle est férue d'astrologie et fait de savants calculs pour prédire la date et les circonstances de la mort. Il lui arrive aussi de voir sa mère et sa grand-mère, défuntes depuis des lustres, errer dans la cave. On pourrait croire qu'il s'agit de délires et de théories (nombreuses) d'une vieille dame qui communique (déjà) avec l'au-delà.

PAS DU TOUT. Elle a les pieds bien ancrés et d'ailleurs, les pieds, c'est très important. Il convient qu'ils soient toujours propres au cas où elle serait emmenée d'urgence à l'hôpital.

Passionnée par le poète inspiré, William Blake, elle tente de traduire son oeuvre avec un de ses anciens élèves. Et puis, au plus dur des mois d'hiver, elle fait l'inspection quotidienne des maisons que les habitants du village délaissent jusqu'au printemps, et elle déambule inlassablement dans la nature environnante.

Rien de bien alarmant dans cette vie rude. Jusqu'à la mort de ses chiens qui demeurent introuvables. Son chagrin est à la hauteur de son amour pour les animaux, énorme. Lorsqu'un de ses voisins, braconnier aussi bourru qu'elle, meurt étouffé par un os de biche, elle émet l'hypothèse qu'il pourrait s'agir d'une vengeance des animaux. Elle évoque les nombreux procès animaliers qui se sont succédé à travers les siècles (drôlissimes et authentiques) dont le plus célèbre (1521) concerne des rats faisant des ravages dans la population, qui obtinrent un non-lieu grâce à un avocat commis d'office. Seule la moquerie répond aux évocations rigoureuses et aux déductions de la brave dame.

Quelques mois plus tard, c'est au tour du commandant de police de se retrouver cul par-dessus tête dans un vieux puits, avec pour seules traces celles de sabots de biches. Peu après, c'est le tour d'un éleveur de renards blancs, retrouvé pourri, puis celle du curé, membre actif du Cercle de chasseurs local, ainsi que celle de son président aux affaires louches. Pour chacun, des traces d'animaux et les explications logiques mais improbables de Madame Doucheyko, qui n'arrivent pas à convaincre les policiers.

Excellent roman, que dis-je, polar, mené tambour battant d'une écriture enlevée, précise et pleine d'humour. le polar ne fait pourtant pas partie de ma bibliothèque mais la critique récente et intrigante d'Orzech m'a décidée à lire ce livre. Bien m'en a pris et je remercie cette Babéliote qui m'a fait découvrir un genre quasi inconnu pour moi. J'ai passé d'excellents moments.

C'est aussi la découverte d'Olga Tokarczuk que je vais m'empresser de poursuivre. Erudite, inattendue, observatrice du moindre détail, cette auteure contemporaine possède certainement l'art du récit. Car, il n'est pas seulement question de morts bizarres et non élucidées mais aussi de la vie dans un petit village, avec ses cueilleurs de champignons, ses ouvriers forestiers « tous moustachus », sa nature foisonnante et merveilleuse, les directives étranges de la Commission européenne sur la protection et la conservation des espèces locales, le bal annuel, les petits trafics entre amis, et aussi les écueils nombreux rencontrés dans les essais de traduction des poésies de William Blake. Ce livre est source multiple d'intérêts et de questionnements.

A recommander chaleureusement.

Le nom de l'auteure est difficile à retenir mais gagne à être connu et diffusé le plus possible.


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"Je suis à présent à un âge et dans un état de santé tel que je devrais penser à me laver soigneusement les pieds avant d'aller me coucher, au cas où une ambulance viendrait me chercher en pleine nuit." C'est par cette confidence pleine de bon sens que s'ouvre ce roman insolite, Sur les ossements des morts, écrit par Olga Tokarczuk, auteure polonaise, dont c'est le premier ouvrage que je lis d'elle.
Janina Doucheyko, la narratrice, est végétarienne. Jadis, ingénieure elle construisait des ponts à travers le monde entier.
Désormais elle est en retraite, son corps se fatigue, elle s'est retirée dans ce hameau perdu au bord d'une forêt immense qui est son havre de paix. En hiver, elle rend quelques services auprès de certains voisins absents jusqu'au printemps, elle surveille leurs maisons en leur absence.
Ici nous sommes au fin fond de la Pologne, dans cette région perdue des Sudètes, près de la frontière avec la République tchèque. Le téléphone portable passe difficilement et à quelques mètres près, le réseau peut basculer sur l'opérateur tchèque, ce qui crée parfois de désagréables surprises dans les factures.
Dans cette région froide et rude de l'hiver, totalement isolée, c'est l'amour de la nature, des chênes et des tourbières qui anime le cœur de Janina Doucheyko, celui des animaux aussi qui peuplent cette forêt primaire toute proche.
La narratrice donne aussi quelques cours d'anglais et de travaux manuels dans une école du village toute proche.
Janina Doucheyko a deux passions : l'astrologie et la poésie de William Blake qu'elle cherche à traduire avec l'aide d'un ancien élève. Des vers du poète britannique d'ailleurs ouvrent chacun des chapitres du roman.
C'est une vie sereine, loin du bruit du monde. Tout semble paisible jusqu'au jour où ses deux chiennes disparaissent.
Puis un de ses voisins est découvert mort chez lui, mystérieusement étouffé par un os de biche. Dès lors les morts vont s'enchaîner.
Il y a des traces d'animaux sur les scènes de crime. Non seulement des traces d'animaux, mais Janina Doucheyko est convaincue par certains indices que des animaux étaient présents non loin des lieux, à chaque fois. Un groupe de biches, un chevreuil, des lièvres, des renards... Un grand nombre de sabots sur la neige, tout près de là...
Et si les animaux avaient un rapport avec ces morts suspectes et brutales ?
La police locale piétine. D'ailleurs, ces victimes ont-elles été assassinées ? La police n'y croit guère par moments.
Janina Doucheyko tente alors de mettre sa passion d'astrologue au service de l'enquête. Elle croit ici à la conjonction des planètes. Dressant le thème astral des victimes, elle voit bien qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond.
Ainsi, ce roman apparaît à première vue ressembler de très près à un polar. Mais cette histoire est bien autre chose et il serait trop simple de la qualifier ainsi. Et peut-être décevant en définitive, car tous les codes classiques du roman policier ne sont pas forcément ici au rendez-vous...
Il y a en effet quelque chose de tout autre dans ce récit, quelque chose de poétique.
Il y a quelque chose de malicieux aussi. Janina Doucheyko, la narratrice a la réputation d'être un peu originale, excentrique même. Elle pose son regard ironique et lucide sur le monde et ses contemporains. Elle est délicieusement espiègle et désobéissante, mais c'est pour mieux se jouer des mesquineries et de la vacuité de l'ordre établi.
Le roman est prétexte à nous faire goutter l'atmosphère insolite, au travers des yeux de la narratrice, ses états d'âme lorsqu'elle pense au désir, à la mort... Nous côtoyons aussi des personnages pittoresques ou grotesques que la narratrice affuble de sobriquets. Ici viennent se mêler à ce récit étrange quelques touches d'humour. Ainsi j'ai adoré le père Froufrou et ses grandes prêches cynégétiques ! Il y a aussi l'évocation de ces comptes-rendus judiciaires sortis tout droit de l'histoire, lorsque la justice des hommes, ne craignant pas le ridicule, poursuivait parfois avec cruauté des animaux. On apprend ainsi qu'au Moyen-âge un essaim d'abeilles fut condamné à l'ex-communion pour avoir perturbé la quiétude d'un notable. Ici elles s'en sortirent plutôt bien... Ou qu'une poule en 1471 à Bâle fut accusée d'avoir pondu des œufs aux couleurs anormalement vives ! Celle-là fut brûlée vive...
Est-ce un signe, une vengeance des animaux à cause de ce foutu dérèglement climatique ?
Des chasseurs se prennent les pieds dans les propres pièges qu'ils posent.
La police commet des erreurs, tâtonne dans la neige, efface peut-être des traces. Au fond on dirait que l'enquête policière passe presque au second plan.
La forêt est bien présente au coeur du roman, sombre et mystérieuse comme si elle recélait la clef de l'énigme à elle seule. Par moments, au bord de ses ramures indécises, on frôle le fantastique.
Le rythme est prenant, le dénouement est inattendu.
Et si les animaux détenaient ici le rôle principal ?
Le récit tient aussi de l'engagement écologique, sorte de plaidoyer poétique et romanesque pour la cause animale.
C'est pour moi une bien belle découverte.
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Avez-vous lu “Les Peregrins"? Il me semble que son auteure (devoiler son identite? On verra…) aime bien, elle-meme, peregriner. En litterature. Passer d'un genre a un autre a chaque livre. Subrepticement, vu que nombreux de ses livres sont ancres en Pologne et que souvent elle y verse quelques gouttes de potion magique (de realisme, de realisme!… que vient faire ici Goscinny? Ce n'est pas lui…qu'allez-vous penser…).

Ce livre-ci se deguise en polar. Mais derriere cet accoutrement, assez bien confectionne d'ailleurs, on reconnait vite le manifeste (zut, elle n'aimera pas ce mot… ni plaidoyer…surtout pas harangue…discours tout simplement?) pour la sauvegarde de la nature et des animaux sauvages.

Une femme qui s'approche de la vieillesse sert de narratrice. Une solitaire, qui vit dans un hameau perdu au sud de la Pologne. Une douzaine de maisons, qui se vident pratiquement toutes pendant l'hiver et qu'elle est alors chargee d'inspecter chaque jour, pour avertir les proprietaires si quelque chose se deteriore, ou effectuer elle-meme de petites reparations a l'occasion. Elle avait ete ingenieure de ponts, puis professeur d'anglais, et elle donne encore une fois par semaine des cours dans la petite ville proche. Mais ce qui l'interesse surtout c'est l'astrologie; elle excelle a dechiffrer les cartes astrales: donnez lui votre date de naissance et la date de votre deces et elle vous dira qui vous a tue.

Une solitaire, qui n'aime pas quitter son hameau meme pendant les plus rudes hivers, mais qui est elle aussi, en un certain sens, une peregrine. A cheval entre la Pologne et la Tchequie (ou elle achete des livres), entre le polonais et l'anglais (elle aide un ancien eleve a traduire Blake), entre l'interpretation de cartes astrologiques et la realite de ce qui se passe autour d'elle.

Ce qui se passe? Des meurtres pardi (n'ai-je pas ecrit: polar?)! Des meurtres bizarres, et elle est convaincue qu'ils sont accomplis par des animaux. Les animaux vengent le mauvais traitements et les “crimes" accomplis envers eux par certains hommes, et les tuent. On la prend pour folle, mais l'est-elle vraiment? Et qui est, ou qui sont, sinon, le ou les meurtriers? Vous le saurez en lisant le livre (je suis paye par la maison d'edition).

Je peux devoiler quand meme que l'auteure est Olga Tokarczuk. Vous l'auriez reconnue de toutes facons a sa manie (pas uniquement celle de la narratrice) d'affubler tout le monde de surnoms: Grand-pied, Bonne-nouvelle, La Cendree, Oeil de loup (c'est le garde forestier), Mme Follebaguette, Glaviot, Manteau noir (le procureur). Sa voiture c'est Samourai, le pretre c'est le Pere Frou Frou. Vous l'auriez reconnue a son humanisation des animaux (les chiennes de la narratrice sont ses petites filles et les biches sont des demoiselles) et a sa bestialisation de certains humains (a quelques bouteilles de vodka pres). Vous l'auriez reconnue a son humour, tantot cynique, tantot bon enfant. Vous l'auriez reconnue surtout a sa prose, qui pousse des embellies au plus profond de l'hiver. Vous l'auriez reconnue bien qu'elle s'amuse a changer de genre comme je change de chemise.

Vous l'aurez certainement reconnue si vous avez deja lu quelque chose d'elle. Vous n'avez encore rien lu? Commencez par ce livre, il vous plaira surement.


N.B. de tous les livres de Tokarczuk que j'ai lu jusque la, celui-ci est le plus accessible, a mon avis (celui que je tiens pour son chef d'oeuvre, “Les livres de Jakob”, est un pave plus ardu). C'est un polar. Ou une simulation de polar. Celuicelle qui le jugera uniquement en tant que tel risque d'etre decu. Et ce sera dommage…
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Dès sa parution, ce livre m'avait intrigué et j'avais envie de le découvrir. J'avais toutefois une petite appréhension, craignant vaguement d'avoir à lire une sorte de manifeste écolo-féministe.

Drôle d'idée me direz-vous peut-être, mais dans le contexte actuel d'hystérisation des débats, où les invectives et les anathèmes volent (très) bas, le pire est à craindre et, pourquoi une auteure récompensée par un prix Nobel échapperait-elle à ces travers de notre époque ?

Et bien, mes craintes n'étaient pas fondées, d'écologie il est certes question, de féminisme un peu aussi, mais ce qui ressort surtout du roman, ce sont les personnages et en particulier la narratrice, vieille dame amoureuse de la nature, de la poésie de Blake et de l'astrologie.

Madame Doucheyko (elle n'aime pas son prénom) est un personnage attachant comme on en rencontre finalement peu dans un roman.

"Sur les ossements des morts", est de ces livres rares qui vous happent et ne vous lâchent qu'à la dernière page et encore, car il laisse en vous un écho durable...
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Au coeur de l'hiver, dans un environnement particulièrement triste et rude, Janina est réveillée en pleine nuit par son voisin, qui lui demande de le suivre, pour se rendre dans une maison voisine, où git un cadavre. Celui de l'homme qu'elle appelait Grand Pied. Sans tenir compte des connaissances de base que tout amateur de séries policières n'ignore plus, ils s'arrangent pour que l'homme ait une allure décente lorsqu'il sera découvert. de toute façon, l'origine de la mort est claire : il s'est étranglé avec une petit bout d'os. Pour Janina cependant, ceci est la preuve que les animaux sauvages, traqués par les chasseurs, se sont vengés.

Bien entendu, la police ne prête pas attention aux élucubrations d'une vieille folle. de même lorsque l'on découvre un autre chasseur, tombé dans un puits, avec des traces de coups sur le crâne;

Il faudra une troisième mort pour que les autorités locales finissent par douter de la thèse d'une coïncidence.

C'est en premier lieu une profonde sympathie que suscite ce personnage fantasque mais déterminé qu'est Janina. Elle a de nombreux points communs avec une de mes héroïnes cultes, qu'est Maud, du roman adapté en film Harold et Maud. Irrévérencieuse et suffisamment aguerrie par la vie, rien ne lui fait peur et elle ne manque pas de faire part à qui veut l'entendre de ses soupçons de complot animalier.

C'est un roman remarquable, pour l'histoire (même si on se doute assez rapidement de ce qui s'est passé, et peu importe, la résolution de l'énigme n'est pas le principal), pour les personnages et surtout celui de la narratrice et pour cette belle écriture d'une autrice Prix Nobel et reconnue à juste titre dans son pays.

Lien : https://kittylamouette.blogs..
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Aaatchoum ! J'ai pris en grippe ce bouquin très rapidement. Trop de répétitions, répétitions qui reviennent comme de lancinants refrains. Aaatchoum, atchoum, atchi : non, c'est une allergie. Allons bon ! A coup sûr cela doit venir des petits papotages, des descriptions ménagères, des digressions sans queue ni tête, de quelque niaiserie, de vérités toutes faites ou de lieux communs. Allez retrouver le coupable dans tout cela. En parlant des communs, j'ai justement un besoin pressant. Si, siii, viiite !!!!

(Ah ! Cela fait drôlement du bien. Maintenant que Maslow est satisfait cela va déjà mieux. Maslow : la pyramide des besoins ? Toujours satisfaire en priorité les besoins physiologiques. Tellement vrai que je lisais dans un autre livre très sérieux, ou le journal (?) qu'un homme était décédé parce qu'il n'avait pas osé quitter une réunion pour faire un petit pipi et sa vessie avait éclaté. Comme quoi Maslow, hein ! Et puis c'était dans un livre très sérieux, le journal c'est pour lire aux toilettes, d'où la confusion. Bon après m'être ébahi, une fois encore !, sur l'harmonie créée par ... le papier WC dont les gracieux dessins d'éléphants roses s'accordent parfaitement avec la couleur des murs de la salle de bains, je peux mettre entre parenthèses cette digression. Et revenir au bouquin. Quoique ceci était juste un exemple de ce à quoi je suis allergique.) Donc ...

Ce matin un lapin. Mélange de Chantal Goya pour le thème et de Katerine Pancol pour le style petits potins voilà deux associations qui se sont imposées à moi. Et par osmose avec l'irritante manie de la narratrice d'affubler les gens de surnoms qu'elle trouve géniaux et dont elle nous explique en détail l'importance du pourquoi et du comment de renommer Grand Pied son voisin parce qu'il (allez je vous laisse deviner), la narratrice est soudain devenue dans mon esprit Mme Bonne Conscience et l'auteure Mme Papote. N'importe des hommes tombent comme des mouches, leurs morts sont étranges, suspectes, y a t il un rapport avec une vengeance des animaux comme le prétend Mme Bonne Conscience ? Si elle n'a rien d'autre à se mettre sous la dent, la police a bien du pain sur la planche. Dans ce coin perdu de Pologne à la frontière tchèque on s'attendrait à voir apparaître un loup garou dans un tempête de neige, mais non ce sont des biches sans fusils qui, ici, remplacent le lapin de la chanson.

Soulignons un bel éclair de lucidité :
"- Si l'envie me venait de consigner mes souvenirs, qu'est-ce que je devrais faire ?
- Il faut s'assoir à une table et s'obliger à écrire. Cela ne vient pas tout seul. Evitez à tout prix de vous censurer. Ecrivez tout ce qui vous passe par la tête.
Drôle de conseil. Je n'avais aucune envie d'écrire tout et n'importe quoi. Je n'aimerais écrire que ce qui est bon et utile." p.171

Pourtant il y a dans tout cela du bon comme la défense d'une vie en symbiose avec la nature (écologie & astrologie) et même du très très bon comme le développement autour du Constructivisme ! Oui c'est très fort cette reconstruction du réel par le récit que nous fait Mme Bonne Conscience. J'ai bien compris la logique des redites et répétitions tout au long de l'histoire, cela fait totalement sens avec la reconstruction d'une nouvelle réalité mentale. Mais Mme Papote ignore que pour un lecteur lent et allergique aux descriptions de détails anodins, c'est très pénible. D'ailleurs ça me reprend : Aaaaatchoum !

Pour vous surprendre j'ai bien aimé cette fin qui tombe un peu comme un cheveu dans la soupe de moutarde avec il fallait s'y attendre la recette complète. Bourratif mais bien quand même, et puis... Maslow! ^^

En résumé, ce n'est pas parce que j'ai malheureusement le rhume des foins que je vais commencer à décourager les personnes que j'aime d'aller faire de belles balades au printemps à travers champs et forêts. Et ce n'est pas parce que je lis lentement, suis sujet à l'aphantasia et peu réceptif aux descriptions photographiques que je vais décourager quiconque d'aucune manière de lire ce roman au demeurant bien écrit et bien construit. Mais vous comprendrez que ce sera mon dernier Olga Tokarczuk comme certains écureils que j'ai trouvés très casses-noisettes et qui m'ont par moments ennuyés les lundi ou les autres jours furent mon premier et dernier Pancol.

En lecture du moins, car il est bien possible qu'en film mon ressenti soit tout différent. C'est si bizarre les allergies et elles nous privent de bien des plaisirs dont d'autres se délecteront avec raison.
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Attention, la critique qui suit dévoilera abruptement le nom de l'assassin; donc à moins que vous ne confondiez ce magnifique roman avec un polar, rien ne vous empêche de la lire. La serial-killeuse, c'est bien entendu , ce dont on se doute assez vite. Pas de passe-passe stylistique ici, pas de bonneteau emprunté à cette bonne vieille Agatha (même si le côté "Miss Marple ne supporte plus ses voisins et les trucide" pourrait être assez réjouissant et n'est d'ailleurs pas très éloigné de ce que réussit Tokarczuk). Non, si nous sommes dans la tête de l'assassin, c'est pour mieux réfléchir à ce que signifie tuer. Un narrateur est presque toujours en surplomb, il nous donne sa vision du monde, plus ou moins édulcorée; un lecteur est presque toujours du côté de celui qui raconte l'histoire; et nous voilà embarqués. Nous luttons contre l'évidence: madame Doucheyko, cette charmante dame à la sensibilité exacerbée, qui nous émeut et que nous aimons, c'est elle qui par 3 fois envoie de respectables citoyens ad patres, de toute sa force d'ancienne championne olympique (et ce n'est pas aux barres asymétriques qu'elle a obtenu sa médaille).
Or, toute la puissance du roman vient de ce que la meurtrière professe paradoxalement une haute et inclusive opinion sur la valeur de la vie. Prompte à défendre les animaux dont elle ne supporte pas qu'ils finissent dans l'assiette d'un amateur de viande, elle campe fièrement sur ses opinions: ce ne sont pas seulement les élégantes biches qu'elles défend contre les chasseurs; la voilà qui part en campagne contre l'industrie du meuble pour sauver le cucujus vermillon empêché de pondre tranquillement sous l'écorce.
D'aucuns tentent de nous convertir au véganisme par de larmoyants plaidoyers. Tokarczuk, elle, campe une héroïne farouche qui traduit le poète William Blake, célèbre pour ses Chants de l'innocence. Une héroïne écolo qui tue pour punir les viandards, ceux qui souillent la nature du haut de leur égoïsme forcené. Mais tuer est toujours une erreur.
Madame Doucheyko en vengeant l'innocence, se détruit elle-même. Elle a les meilleurs excuses du monde pour tuer, comme nous en avons pour défendre notre mode de vie aux dépens des animaux. Mais il n'est pas d'excuse qui tienne: tuer rend sale et malade, tuer nous coupe de notre humanité. Madame Doucheyko, comme nous tous, trahit de bonne foi ses idéaux pour un résultat très incertain.
Alors, faut-il se battre contre les méchants au risque de se perdre ou se résigner sous le masque opportun de la lucidité? Débrouillez-vous, répond Tocarzuk, j'ai mis le problème sur la table: faites avec. Rien n'est univoque. On peut traduire Blake de multiples façons, il n'est pas de traduction parfaite. On peut tuer un homme après avoir pris en pitié sa future veuve. On peut défendre une cause juste et être une sacrée emmerdeuse. On peut protester contre l'"autisme testotéronien" (délicieux titre de chapitre) et se montrer plus insensible qu'un mâle alpha. Qui a raison? Qui a tort?
A moins que la morale ne soit contenue dans ce premier paragraphe que tous les commentateurs se sont plu à relever: le minimum est de ne pas peser sur les autres. Et puisqu'il faudra bien qu'un voisin découvre votre cadavre un matin, avoir la décence d'être un cadavre propre. Nul ne peut à lui seul transformer le monde; il peut au moins le rendre plus supportable. La toilette pour l'hygiène des pieds et l'humour pour l'hygiène de l'âme y contribueront de beaucoup.
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