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Citations sur Le Roi des Aulnes (187)

Les Jungmannen de Kaltenborn eux étaient doublement voués à l'épée, comme jeunes guerriers du Reich, d'abord, et par la vertu du blason du château ensuite. Tout ce qui ne relevait pas de l'épée devait leur être étranger. Tout autre recours que celui de l'épée était lâche et traître. Ils devaient avoir sans cesse présent à l'esprit l'épisode du nœud gordien de la vie du grand Alexandre. Sur l'acropole de Gordium, en Phrygie, s'élevait le temple de Jupiter où était conservé le char du premier roi du pays. Selon un oracle vénérable, l'Asie appartiendrait à celui qui saurait dénouer le lien par lequel le joug était assujetti au timon, et dont les deux extrémités paraissaient invisibles. Désireux de s'assurer l'empire de l'Asie et impatienté par la difficulté de l'épreuve, Alexandre avait séparé d'un coup d'épée les deux pièces du char. Ainsi chaque problème pouvait recevoir deux solutions : la solution longue, lente et lâche, et la solution de l'épée, foudroyante et instantanée. Les Jungmannen se devaient à l'exemple d'Alexandre de tirer l'épée chaque fois qu'un nœud s'opposait à leurs desseins.
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La vie et la mort, c'est la même chose. Celui qui hait ou craint la mort, hait ou craint la vie. Parce qu'elle est fontaine inépuisable de vie, la nature n'est qu'un grand cimetière, un égorgeoir de tous les instants.
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_ Le dressage, commença Pressmar, est une entreprise incomparablement plus belle et plus subtile qu'on ne croit communément. Le dressage consiste pour l'essentiel à restituer à l'animal son allure et son équilibre naturels, compromis par le poids du cavalier.
« Comparez en effet la dynamique du cheval et celle du cerf par exemple. Vous verrez que toute la force du cerf est dans ses épaules et dans son encolure. Au contraire, toute la force du cheval est dans sa croupe. Et les épaules du cheval sont fines et effacées, tandis que la croupe du cerf est maigre et fuyante. Il est vrai d'ailleurs que l'arme du cheval est la ruade qui part de la croupe, alors que celle du cerf est le coup d'andouiller qui part de l'encolure. Lorsqu'il se déplace, le cerf se tire en avant. C'est une traction avant. Le cheval à l'inverse se pousse de derrière avec sa croupe. En vérité, le cheval est une croupe avec des organes par-devant qui la complètent.
« Or que se passe-t-il quand un cavalier enfourche sa monture ? Regardez bien sa position : il est assis beaucoup plus près des épaules du cheval que de sa croupe. En fait les deux tiers de son poids sont portés par les épaules du cheval qui sont justement, comme je l'ai dit, faibles et légères. Les épaules ainsi surchargées se contractent, et leur raidissement gagne l'encolure, la tête, la bouche, cette bouche dont la douceur, la souplesse, la sensibilité font toute la valeur du cheval de selle. Le cavalier a entre les mains un animal déséquilibré et contracté qui n'obéit plus que grossièrement à ses aides.
« C'est alors qu'intervient le dressage. Il consiste à amener progressivement le cheval à reporter autant que possible le poids du cavalier sur sa croupe, afin de soulager les épaules. Et pour cela à s'asseoir davantage sur ses membres postérieurs, à les engager sous lui aussi loin que possible en avant, bref, pour employer une comparaison dont il ne faudrait pas abuser, à prendre modèle sur le kangourou dont tout le poids repose sur les membres inférieurs, tandis que les pattes de devant demeurent libres. Par divers exercices, le dressage s'efforce de faire oublier au cheval le poids parasitaire du cavalier, et de lui rendre son naturel en poussant l'artifice jusqu'à son point de perfection. Il justifie une anomalie en instaurant une organisation nouvelle où elle trouve sa place.
« Ainsi l'équitation qui est l'art de régir les forces musculaires du cheval consiste principalement à s'assurer la maîtrise de sa croupe où elles sont rassemblées. Les hanches doivent dévier sous la plus légère pression du talon, les masses fessières doivent avoir cette flexibilité moelleuse qui leur donne la diligence dont dépend tout le reste. »
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Le 3 octobre Hitler annonça au monde dans un discours au Palais des Sports de Berlin le déclenchement de l'opération Typhon qui devait faire tomber Moscou et anéantir définitivement l'Armée rouge. Et de nouveau, le pays fut sillonné par un afflux d'hommes et de matériel, des hommes de plus en plus jeunes, un matériel de plus en plus perfectionné, jetés pêle-mêle dans l'immense fournaise de la bataille. Aussi quand les premiers oiseaux migrateurs commencèrent à passer très haut contre les nuages gris, en gémissant, Tiffauges pensait, la gorge serrée, à toute cette jeunesse fauchée dans sa fleur, et il lui semblait que c'était les âmes des tués qui fuyaient là-haut, esseulées, effrayées par le mystère de l'au-delà, pleurant cette terre familière et maternelle qu'ils avaient eu si peu le temps d'aimer.
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J'ai une pleine boîte de négatifs provenant de mes glanes à travers les champs empiriques. Parfaite disponibilité de ces enfants, sages comme des images. Je peux à tout moment glisser l'un d'entre eux dans le porte-vue de mon agrandisseur, et alors il envahit la pièce, il se colle sur les murs, sur la table, sur moi. Je peux reproduire l'une quelconque des parties de son corps ou de son visage à une échelle gigantesque, et cela autant de fois qu'il me plaît. Car si le vaste monde est une réserve de chasse inépuisable – et qui désespère l'exhaustion – mon vivier d'images est lui tout à fait fini – quelle que soit sa richesse –, mon puéril cheptel est compté, dénombré, et j'en connais, comme il se doit, toutes les ressources. Enfin le nombre fini de mes négatifs est justement équilibré par la possibilité que j'ai de tirer de chacun d'eux un nombre infini d'images positives. L'infini empirique ramené d'abord au fini de ma collection redevient un infini possible, mais cette fois il ne se déploie qu'à travers moi seul. Par la photographie, l'infini sauvage devient un infini domestique.
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Lorsque je divague par les rues dans ma vieille Hotchkiss, ma joie n'est vraiment complète que si mon rollei pendu en sautoir à mon cou est bien calé entre mes cuisses. Je me plais ainsi équipé d'un sexe énorme, gainé de cuir, dont l’œil de Cyclope s'ouvre comme l'éclair quand je lui dis « Regarde ! » et se referme inexorablement sur ce qu'il a vu. Merveilleux organe, voyeur et mémorant, faucon diligent qui se jette sur sa proie pour lui voler et rapporter au maître ce qu'il y a en elle de plus profond et de plus trompeur, son apparence ! Grisante disponibilité du bel objet compact et pourtant mystérieusement creux, balancé à bout de courroie comme l'encensoir de toutes les beautés de la terre ! La pellicule vierge qui le tapisse secrètement est une immense et aveugle rétine qui ne verra qu'une fois – tout éblouie – mais qui n'oubliera plus.
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Je n'ai rien écrit depuis le début de l'année. En vérité, c'est à peine si j'ai vécu ! Enfant, la plongée dans le noir, l'humide et le froid de l'hiver se confondait pour moi avec le malheur d'exister. Il m'a fallu longtemps pour comprendre qu'il ne s'agissait en somme que d'une saison, la mauvaise. D'année en année, à mesure que je vieillis, le temps passe plus vite pour moi, et ainsi des durées de plus en plus longues me deviennent mesurables, maîtrisables. Mais l'hiver n'a pas encore suffisamment rétréci pour que je puisse l'enjamber gaillardement et prendre pied sur l'autre bord du trou. Un jour peut-être. Pour l'heure, je manque encore le pas, et je m'effondre dans la fosse janvier-février avec le sentiment que jamais, jamais on n'en sortira.
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Dès les premières salles, il manifeste une étonnante familiarité avec les œuvres exposées et me mène tout droit au David de Guido Reni qu'il se propose de photographier. Ce gros garçon plein de jactance et de jobardise, la joue vaste, l’œil bel et sans malice, coiffé d'un absurde chapeau à plumes, serré à grand-peine dans une peau de bête, comment a-t-il pu gagner le cœur d'Étienne ? À travers les explications un peu confuses qu'il me donne, je crois comprendre que ce David incarne aux yeux d'Étienne la race très fascinante de ceux qui n'ont jamais douté de rien. Étienne a découvert cela ! Il y a des êtres limités, d'une beauté éclatante mais sans prolongement et, soyons francs, qu'on aurait tout lieu de mépriser s'ils ne nous offraient le spectacle d'une adaptation sans défaut à l'existence, d'une adéquation miraculeuse de leurs désirs et des choses à leur portée, de leurs paroles et des questions qu'on leur pose, de leurs capacités et de la profession qu'ils exercent. Ils naissent, vivent et meurent, comme si le monde avait été fait pour eux et eux-mêmes pour le monde, et les autres – les douteurs, les troublés, les indignés, les curieux, Étienne, moi – les regardent passer et s'émerveillent de leur naturel.
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Ce qu'il y a de redoutable dans ces états de dépression, c'est la lucidité – du moins apparente – qui les accompagne et les renforce. Le désespoir se donne irrésistiblement comme seule réponse authentique au non-sens de la vie. Toute autre attitude – passée ou future – paraît relever de l'ébriété. La vie n'est tolérable qu'en état d'ébriété. Ébriété alcoolique, amoureuse, religieuse. Créature de néant, l'homme ne peut affronter l'inconcevable tribulation qui lui advient – ces quelques années d'être – qu'en se saoulant la gueule.
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L'inversion bénigne. Elle consiste à rétablir le sens des valeurs que l'inversion maligne a précédemment retourné. Satan, maître du monde, aidé par ses cohortes de gouvernants, magistrats, prélats, généraux et policiers présente un miroir à la face de Dieu. Et par son opération, la droite devient gauche, la gauche devient droite, le bien est appelé mal et le mal est appelé bien. Sa domination sur les villes se manifeste entre autres signes par les innombrables avenues, rues et places consacrées à des militaires de carrière, c'est-à-dire à des tueurs professionnels, bien entendu tous morts dans leur lit, parce qu'il n'y a rien de satanique sans une touche de grotesque qui est comme la griffe du Prince des ténèbres. Même le nom hideux de Bugeaud, l'un des plus abominables bouchers du siècle dernier, déshonore des rues dans plusieurs villes de France. La guerre, mal absolu, est fatalement l'objet d'un culte satanique. C'est la messe noire célébrée au grand jour par Mammon, et les idoles barbouillées de sang devant lesquelles on fait agenouiller les foules mystifiées s'appellent : Patrie, Sacrifice, Héroïsme, Honneur. Le haut lieu de ce culte est l'hôtel des Invalides qui dresse sur Paris sa grosse bulle d'or gonflée par les émanations de la Charogne impériale et des quelques tueurs secondaires qui y pourrissent. Même le stupide massacre de 14-18 a ses rites, son autel fumant sous l'Arc de triomphe, ses thuriféraires, comme il a eu ses poètes, Maurice Barrès et Charles Péguy qui mirent tout leur talent et toute leur influence au service de l'hystérie collective de 1914, et qui méritent d'être élevés à la dignité de Grands Équarrisseurs de la jeunesse – avec bien d'autres, cela va de soi.
Ce culte du mal, de la souffrance et de la mort s'accompagne logiquement de la haine implacable de la vie. L'amour – prôné in abstracto – est persécuté avec acharnement dès qu'il revêt une forme concrète, prend corps et s'appelle sexualité, érotisme. Cette fontaine de joie et de création, ce bien suprême, cette raison d'être de tout ce qui respire est poursuivi avec une hargne diabolique par toute la racaille bien-pensante, laïque et ecclésiastique.
P.-S. L'une des inversions malignes les plus classiques et les plus meurtrières a donné naissance à l'idée de pureté.
La pureté est l'inversion maligne de l'innocence. L'innocence est amour de l'être, acceptation souriante des nourritures célestes et terrestres, ignorance de l'alternative infernale pureté-impureté. De cette sainteté spontanée et comme native, Satan a fait une singerie qui lui ressemble et qui est tout l'inverse : la pureté. La pureté est horreur de la vie, haine de l'homme, passion morbide du néant. Un corps chimiquement pur a subi un traitement barbare pour parvenir à cet état absolument contre nature. L'homme chevauché par le démon de la pureté sème la ruine et la mort autour de lui. Purification religieuse, épuration politique, sauvegarde de la pureté de la race, nombreuses sont les variations sur ce thème atroce, mais toutes débouchent avec monotonie sur des crimes sans nombre dont l'instrument privilégié est le feu, symbole de pureté et symbole de l'enfer.
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