Si vous comptez lire
Absolution par le meurtre pour vous divertir, espérant ainsi changer de décor et d'époque tout en apprenant deux ou trois petits trucs que vous pourrez ressortir à votre entourage en faisant les malins, je vous avertis tout net : fuyez, pauvres fous que vous êtes !
Je sais bien que la collection Grands Détectives de 10/18 nous a habitués à un certain confort, voire à une certaine lassitude. Je n'avais d'ailleurs point l'intention (je parle comme les personnages de
Peter Tremayne, et aussi comme les shinigamis de Bleach, étant très influençable), point l'intention, donc, de lire un seul tome de la série Fidelma, depuis que j'avais décrété un blocus sur les romans policiers historiques médiévaux. "Fi à ces machins", m'étais-je dit il y a longtemps, "j'en ai lu des tas et j'en ai ai ras-le-bol, plus jamais on ne m'y reprendra." Mais voilà que je tombe sur trois tomes de la série Fidelma en bon état dans une boîte à livres... Or, il faut savoir que les boîtes à livres de ma ville ne sont quasiment plus remplies que de vieilleries dénuées du moindre charme (en gros, les gens les prennent pour des poubelles). Me voilà donc repartie avec les livres en question et l'idée d'essayer de lire un Fidelma, car "après tout, ça ne mange pas de pain" (c'est ce que je me disais en mon for intérieur).
Et alors... Et alors je fis une découverte surprenante ! le tout premier tome de Fidelma,
Absolution par le meurtre, est à ce jour le seul roman de la collection Grands Détectives, à ma connaissance, qui nécessite d'avoir passé un doctorat en histoire médiévale anglaise, ou saxonne, ou un truc dans le genre, ainsi qu'un autre doctorat en histoire de la théologie. La pauvre notice qui précède le roman ne sert strictement à rien. Que cette série ait marché dès le premier tome me laisse sur les fesses. Il faut croire que nous sommes extrêmement nombreux à avoir considéré qu'un roman policier a priori très classique (et c'est le cas) de 260 pages méritait qu'on souffre pendant 60 pages durant, entre noms latins, saxons, irlandais et j'en passe, des références à l'histoire de la Bretagne (qui n'était pas encore la Grande-Bretagne) hors de notre portée et (et je crois que c'est le nectar du roman) des tas de lignes sur des débats théologiques absolument sans intérêt pour qui n'est pas passionné du sujet (ce qui est le cas de la majorité de l'humanité, me semble-t-il).
Comment
Peter Tremayne a-t-il réussi le tour de force de pousser un lectorat à la recherche d'un divertissement honorable (ben oui, on a tout de suite l'air moins feignant quand on a lu un roman policier qui parle de la Bretagne du VIème siècle, allez savoir pourquoi), comment a-t-il réussi à convaincre je ne sais combien de personnes à passer outre des tas d'informations dont elles n'ont strictement rien à faire et dont elles ne feront jamais rien (encore qu'on sait pas, après tout) ??? Pour ma part, après m'être dit que j'allais refermer le livre parce qu'en plus de tout ça, c'était bourré de clichés avec une héroïne noble (parce qu'on voudrait quand même pas que l'enquête soit menée par un clochard, hein), mignonne mais pas trop, "bien proportionnée" (
Peter Tremayne insiste sur ce point, mais est-ce à dire que Fidelma est "bien proportionnée" selon les critères de son époque, critères qui nous sont inconnus, ou "bien proportionnée" selon les critères de
Peter Tremayne que nous ne connaissons pas non plus, ou encore "bien proportionnée" selon nos propres critères ? J'ai presque envie de dire que je me fiche complètement que Fidelma soit "bien proportionnée", quoique ça signifie)... Mais je m'égare.
Donc, pour ma part, j'étais tellement agacée d'être confrontée à ce déferlement d'informations qui plongerait à peu près n'importe qui en situation de surcharge cognitive, que j'ai ressenti un besoin irrépressible de résister durant une bonne soixantaine de pages, les pages 58-59 constituant le climax en matière de noms propres fusant dans tous les sens : Eanflaed, Oswy, Rhiainfellt, Rheged (pays), Iona (île), Fín, Colmán Rimid, Uí Néill (clan), Northumbrie (pays), Gwid, Aldfrith, Comgall, Colum-Cille (ou encore Columba), Bangor (lieu), Flann Fína, Taran, Alhfrith, Deira (province), Ripon, Wilfrid, Wulfric de Frihop, Cyneburh, Penda de Mercie, Peada, Ecgfrith, Osthryth, Aelfwine, Domangart de Dál Riada, Drust, Cenwealh du Wessex, Eorcenberht du Kent, Wulfhere de Mercie... Tout ça jusqu'à ce que Fidelma (c'est l'héroïne ; je reprécise au cas où vous auriez perdu pied) s'écrie : "Assez ! [...] Je ne maîtriserai jamais tous ces noms bizarres." (Et encore est-elle irlandaise, donc plus à l'aise que la plupart d'entre nous avec le gaëlique). Est-ce ce flash de lucidité de l'auteur tournant à l'auto-dérision qui m'a quelque peu détendue ? Sans doute.
Passé ce cap, je pouvais tout supporter, y compris les trucmuches théologiques qui encombrent pas mal le roman. Roman policier très classique, au demeurant. Et honte à vous si vous ne trouvez pas le coupable, car
Peter Tremayne s'est démené pour distiller des indices énormes, à tel point que je me suis dit que c'était un leurre, mais en fait pas du tout. Donc, restent 200 pages pour un policier ma foi assez tranquillou - ce qui est très curieux, vu l'entrée en matière parfaitement inédite. Je ne le cacherai pas : j'estime que tout ça aurait mérité des cartes géographiques, un bon gros glossaire (ah ouais, parce que y'a pas que les noms propres inconnus qui foisonnent), et un bon pour un cycle de conférences sur l'histoire de la Bretagne et de l'Irlande au VIème siècle (au fait, j'ai oublié de mentionner que selon
Peter Tremayne, tout était absolument parfait en Irlande à cette époque alors que c'était tout pourri en Bretagne).
Mais pourquoi donc n'ai-je pas été excédée par ce roman ? Soit je suis devenue en quelques jours d'une coolitude exemplaire (je n'y crois pas, ce serait trop beau), soit... soit... Je ne trouve pas d'explication logique. Étonnamment, j'ai envie de dire - maintenant que j'ai refermé le roman, évidemment - que c'est un roman policier qui se lit bien.
Mmmmmhhhhhhh. L'esprit humain est insondable.