ALBERTINE À 50 ANS. Quand j'étais petite, j'rêvais, des fois, qu'y' avait rien en dehors de l'école... Que l'école c'tait le monde. Un monde avec rien que enfants. Juste des petites filles qui dansent a'corde.
ALBERTINE À 60 ANS. C'toute des folies, ça... Y nous prennent-tu pour des épais? J'les ai vus débarquer su'a'lune, à la télévision... Voir si ça se peut!
ALBERTINE À 50 ANS. Si y l'ont montré...
ALBERTINE À 60 ANS. Faut pas toute croire c'qu'y nous montrent, t'sais!
J'me suis faite accroire, un temps, que tout allait ben... J'ai pris mon bord en pensant que le reste du monde me suivrait pas... mais y m'a suivie!
ALBERTINE À 60 ANS. C’est le renfermé que ça doit sentir. Mais j’ose pas ouvrir le châssis… J’ai trop peur d’attraper mon coup de mort… J’me sus enfermée dans la maison où chus venue au monde… même pas… dans une chambre de c’te maison-là… pour me protéger des senteurs du dehors. Y’a pus rien qui peut me toucher, j’ai perdu l’odorat.
ALBERTINE À 70 ANS. Ça sent la mort au compte-gouttes ! J’ai-tu passé à travers tant d’affaires juste pour en arriver là ?
Les autres la regardent.
Elle se mouche avec un kleenex.
Ça va aller mieux demain.
ALBERTINE À 60 ANS. Tu penses ?
ALBERTINE À 70 ANS. Oui, j’le pense !
[…]
ALBERTINE À 60 ANS. J’ai pus aucun souvenir, d’aucune senteur. Même pas celle des sapins qui m’avait tant étourdie quand j’étais arrivée à duhamel. Toute ma vie, après, quand on parlait de senteur, j’me revoyais, debout sur la galerie, en train de me remplir les poumons de santé ! Aujourd’hui… (Elle regarde Madeleine.)… même si t’essayais de me décrire c’te senteur-là pendant des heures, j’m’en rappellerais pas.
j’reste dans ma chambre, tranquille, j’achale pus personne… Une p’tite lumière qui brille au bord de la nuit ? Ç’a l’air tellement paisible, de loin… pis plaisant. Y’a deux femmes, su’a’galerie.
Albertine à 40 ans : C’est comme une boule de feu, Madeleine… Albertine à 30 ans : J’ai beau hurler, frapper, ça reste toujours là… c’est aussi présent après qu’avant une crise…
Madeleine : Crie moins, Bartine! Essaye de t’exprimer sur un ton un peu plus doux...
Albertine à 40 ans : Ben voyons donc!… Tu viens me promener ton bonheur sous le nez pour que j’le sente ben comme faut… Albertine à 40 ans : Sauve-toi pas! Madeleine : Quand t’es comme ça, ça sert à rien d’essayer d’argumenter avec toi, t’écoutes pas…
Albertine à 40 ans : Tu m’enrages assez, des fois Madeleine, avec tes petits airs supérieurs! … On sait ben, moi, y faut que j’endure toutes sans rien dire mais aussitôt que j’commence à dire quequ’chose à quelqu’un vous m’envoyer chier!" et "… Pis moi j’arrêtais pas… j’t’ais pas capable! C’est pas Thérèse que j’frappais, j’pense, c’est … c’est toute la vie.
MADELEINE : Conte-lé pas si tu veux pas… / ALBERTINE À 70 ANS : C'est tellement difficile. / ALBERTINE À 30 ANS : On dirait qu'on est tu-seules, tou'es deux, dans le monde… / ALBERTINE À 70 ANS : Y fait tellement noir, tout d'un coup… / ALBERTINE À 60 ANS : Ça donne envie de chuchoter… / ALBERTINE À 40 ANS : Non, ça donne envie de tout détruire!