L'écrivaine
Frances Trollope, mère de l'écrivain
Anthony Trollope, a passé l'année 1835 en France. L'occasion, pour elle, sous couvert de lettres adressées à une amie, de dresser une sorte d'état des lieux. Un témoignage d'autant plus précieux qu'il s'agit d'un regard extérieur, de celui d'une étrangère, et que 1835 est une année on ne peut plus normale, sans fait réellement marquant, exception faite peut-être du procès des prisonniers de Lyon.
L'accent va donc pouvoir être mis sur le quotidien, sur « l'ordinaire » de la vie des
Parisiens. D'une certaine classe de
Parisiens, plutôt. Ceux qu'elle fréquente, ceux des Salons, ceux qui lisent, vont au musée, au théâtre, au concert. Et elle nous entraîne à sa suite au spectacle, nous fait admirer le jeu des actrices, celui de la célèbre Mademoiselle Mars entre autres, vilipende les dramaturges de pacotille. À ses yeux très peu d'auteurs français contemporains, quel que soit le registre dans lequel ils s'expriment, valent la peine d'être retenus. Quant au jeune
Victor Hugo, elle lui voue une haine farouche. Son oeuvre ne fait rien d'autre, à ses yeux, qu'exalter les instincts les plus bas de l'être humain.
Le peuple, le « vrai » peuple, elle ne le rencontre guère pour ainsi dire qu'en gros, lorsqu'il assiste aux offices religieux, qu'il vient prendre part aux festivités données à l'occasion de l'anniversaire du roi Louis-Philippe, ou profite, ici ou là, de dimanches ensoleillés. Elle s'attendrit alors devant le spectacle familial qu'il lui offre. le reste du temps elle ne voit en lui que saleté, mauvaises odeurs et manque d'hygiène.
C'est avec une certaine gourmandise qu'elle pousse ses interlocuteurs à lui parler politique, à prendre position. Si elle prête une oreille bienveillante aux légitimistes, dans une moindre mesure aux doctrinaires (qui espèrent pouvoir concilier révolution et monarchie), les Républicains, eux par contre, ne trouvent guère grâce à ses yeux. Elle les présente, faute sans doute de les avoir réellement approchés, comme de jeunes écervelés sans importance ni consistance. Et sans avenir. On sait ce qu'il en est en réellement advenu.
Elle ne tarit pas d'éloges sur les monuments, les places, les jardins de
Paris. Elle y passe un temps considérable, tout particulièrement dans celui des Tuileries qui l'enchante. Et elle les décrit avec force détails. Au gré de ses pérégrinations on apprend que le culte voué à Napoléon était encore très vivace, qu'on déposait des couronnes de fleurs au pied de la colonne Vendôme pour lui rendre hommage, qu'une chapelle expiatoire, très fréquentée, avait été dressée à l'emplacement où Louis XVI et
Marie-Antoinette avaient été ensevelis avant d'être transférés, en 1815, à la Basilique Saint-Denis. On apprend encore que les tableaux de l'exposition de peinture contemporaine du Louvre étaient curieusement suspendus par-dessus ceux des grands maîtres du passé. On apprend bien d'autres choses encore.
Une fois ce premier tome refermé, on a le sentiment d'avoir effectivement opéré une incursion fort intéressante dans le
Paris de 1835, mais on a aussi le sentiment d'avoir approché de très près la personnalité de
Frances Trollope, une femme raffinée, cultivée, très attachée aux valeurs traditionnelles, à l'ordre et à l'autorité, réfractaire au changement, d'une pruderie certaine et finalement convaincue, même si elle le dit en y mettant bien des formes, que les coutumes et traditions anglaises valent nettement mieux que les françaises.