Initialement, j'ai emprunté cet album dans l'espoir intéressé de calmer mon eczéma causé par la pression chagrine de ma femme concernant la maternité. La trentaine est un calvaire pour les couples sans enfants. Et la stérilité ne touche que trop rarement ceux qui la souhaitent. Je me suis dit qu'un autre gars dans la panade sur les questions bébé, ça ne pouvait que consolider ma constitution fragile et apaiser mon stress. "
Neuf mois" en guise de thérapie, ça me paraissait corrèque et moins contraignant pour la sécurité sociale (je suis très citoyen le vendredi).
Je me suis donc penché sur le médicament, sans trop y croire, pour verser dans l'automédication et m'éviter une consultation (je suis très radin en semaine). Et là, le choc. La tarte. La confiture de lait dans le gosier ! Pourtant, la seconde d'avant, je me grattais encore la puce, j'avais le prurit impétueux, la grattouille facile !
Mais trop tard.
Plus maintenant.
Impossible de se la frotter.
J'ai été happé. Littéralement. Mes mains se sont collées à l'ouvrage, les doigts sont entrés sous la couverture (il y faisait si chaud), tournant les draps avec frénésie (ou les pages, je ne sais plus bien), plus moyen de m'astiquer la peau, aspiré par ma lecture. Plus aucune démangeaison, ni de pensées maladives. J'étais bien.
Ce "
Neuf mois" là mérite son remboursement intégral par la sécu et les mutuelles. J'insiste.
Alors, pourquoi tant de "aime" ? Beaucoup de références dissimulées partout, un vrai catalogue de chouchous de l'ubuesque, c'est un petit régal de dénicher tel ou tel détail se faisant l'écho d'un artiste adoré, une même famille, celle de l'absurde et des créateurs d'un monde particulier, de précurseurs, de défricheurs.
Ainsi, l'on sent l'influence de Fred (personnages proches, la psychanalyse, l'humour, l'absurde, la même police d'écriture), de
Marc-Antoine Mathieu (personnages à lunettes, synopsis conceptuel, utilisation de différentes réalités et références), de
Boris Vian (le couple porte les prénoms de Colin et Chloé, évocation des loups-garous, le cite clairement), de
Winsor McCay (
Little Nemo, Morphée, les rêves).
Mais il ne suffit pas d'évoquer des géants pour gagner en hauteur. Faut manger de la soupe ! Et
Nicolas Vadot en prend visiblement depuis l'enfance. Car il pousse, il pousse le petit Nicolas. Il pousse les frontières. Il pousse les murs. Il pousse et la maman avec. Et l'on aime être chahuté par cette frénésie.
Clairement, notre auteur ne cherche pas la copie, il fait entendre sa voix propre, son monde à lui. C'est très fluide, pas foutraque, généreux, jubilatoire, et défend un point de vue. On ne s'y perd pas du tout, c'est très maîtrisé, bien cadré et plaisant à lire. Une totale réussite à mon
sens ! Pour moi, Fred a un fils. Il s'appelle
Nicolas Vadot. Tout l'enjeu de la filiation se cachait là.
Bon. Je le concède. Les picotements ont vite repris une fois le placebo refermé. Mes grattouilles aussi. Je file chez le dermato la semaine prochaine. Finalement, on ne remplace pas la médecine. C'est pas plus mal. J'ai rendu le livre à la bibliothèque pour m'en offrir, un bien à moi, un que je conserverai précieusement et conseillerai à ma descendance, si elle s'intéresse un jour aux joies de la BD. Ah, oui, parce que la guigne, je n'avais pas lu les petites lignes, le ver était dans la pomme : le bouquin est livré avec un berceau ! On n'y échappe même pas. Pauvres de nous. Tant pis. Vive l'eczéma.