C'était bien là l'ennui. Elle avait le pouvoir incroyable de le désorienter, comme un aimant près d'une boussole. Elle pouvait tout détruire en ouvrant simplement la bouche.
Il ne voulait pas que le soleil se lève aujourd'hui et il était prêt à passer le restant de sa vie à cette période de la journée, le ciel d'un bleu foncé si beau, l'air tiède et la lune descendante. Presque l'obscurité, toute chose déjà présente sans être encore entièrement formée, le monde en devenir sans être encore abouti.
Galen ferma les yeux et essaya de s'apaiser, mais il entendait tout le monde mâcher.
Il détestait le son de la mastication et de la déglutition humaines. Il essaya de se concentrer sur les abeilles qui tournaient autour des fleurs sauvages, le son de la rivière non loin, la brise légère dans la cime des arbres plus haut sur la colline, et même sur les voitures qui passaient sur l'autoroute, leur rumeur étouffée par la forêt. Mais tout ce qu'il entendait en réalité, c'était le bruit mouillé des langues, des gencives, des gorges.
Il ferma les yeux et respira la roche, son parfum ancien. Si le monde entier n'était qu'une illusion, seule une vieille âme aurait pu rêver une chose aussi solide et lui donner corps. Mais si c'était le monde qui était réel ? Et que seuls les gens étaient illusions, ainsi que la surface des choses ?
La surface, labile, mais pas le cœur des choses.
Galen œuvra sur le sillon dans l'obscurité sans lune. Se guida à tâtons le long des murs avec la pelle. L'air creux, un temps de reflux. Le son amplifié.
Il essaya de se sentir comme un hamac tendu entre terre et lune. Se balançant dans la brise éthérique, le vent soufflant depuis le monde des ombres. Son corps, presque comme un diapason.
La lune, le plus éclatant des os. Des zones sombres y dessinaient la bouche ouverte d'un serpent, un petit homme était assis juste en dessous et méditait. Toujours la même lune. Toujours cette tête de serpent et ce petit homme sculpté dans un disque d'os.
Son premier repas après ce qui semblait être une éternité. Il mangea avec les doigts, n'avait pas envie de créer une distance en utilisant une fourchette.
"- Tu sais ce que ça fait de ne pas se souvenir ?
- Non.
- C'est comme n'être personne, mais être pourtant obligé de vivre."
Il était possible que chaque âme vive dans un pays-miroir, sans personne autour.