Galen essaya de maintenir sa concentration sur une carotte et sur la façon dont elle croquait sous la dent. Il la sentait se briser, toute cette solidité craquant en une seconde, un indice pour parvenir à faire glisser le monde, l'espace d'un seul instant. Retrait hors du monde. Distance.
Nous étions terrifiés par le néant, par l'ignorance de ce que nous réservait l'avenir, de ce que nous devions faire, de ce que nous devions être.
La clé, pour traverser le monde, était de trouver un moyen d'en oublier l'existence.
Elle n'avait toujours pas compris que la mémoire n'était qu'une illusion.
C'est ainsi qu'il rêvait le monde. Sans personne.
« Elle avait fait de lui une sorte d’époux, lui, son fils. Elle avait chassé sa propre mère, sa sœur et sa nièce, et il ne restait plus qu’eux deux, et chaque jour il avait le sentiment qu’il ne pourrait supporter un jour de plus, mais chaque jour il restait. » (p. 12)
Puis une chose curieuse se produisit. Tout le monde détourna le regard. Personne ne dit rien ni ne réagit au fait que sa tante venait de le frapper du poing. Sa grand-mère fredonnait pour elle-même, les yeux baissés sur ses genoux, et sa mère mangeait. Jennifer avait croisé les bras et baissait les yeux, elle aussi. Sa tante avait recommencé à manger. Et Galen se rendit compte qu’il avait été frappé pour la première fois de sa vie, mais que, dans la pièce, toutes avaient dû être frappées de nombreuses fois. Ou dans le cas de sa mère, n’avait été que simple témoin, mais témoin de nombreuses fois.
« Sa mère, une perturbation constante, une déchirure dans le tissu de l’espace et du temps. Aucune paix possible quand elle était dans les parages. » (p. 70)
Galen effectua un cercle lent sous le soleil. Il n'y avait pas d'ombre.L'asphalte noir irradiant la chaleur. Les humains avaient créé les modes de vie les plus merdiques. Maisons de retraite, voitures, asphalte, coincés dans les déserts comme ici, des endroits où l'on ne pourrait supporter de vivre un jour de plus. Ils auraient été plus avisés de continuer à se balader tout nus sans rien inventer. Ainsi, les humains pourraient marcher vers une rivière, un lac ou un bosquet d'arbres. Ils ne seraient jamais obligés de rester debout dans un four long d'un millier de kilomètres.
S'il partait à gauche , il devrait passer devant sa tante et Jennifer pourrait sortir par la porte d'entrée. S'il allait à droite, il devrait passer devant sa mère et sa grand-mère, assises à la table de la cuisine. Il ne voulait prendre aucune de ces directions. Il voulait une troisième porte, mais c'est justement ce que la vie n'offrait jamais, et c'était peut-être aussi bien. C'est ainsi que l'on était poussé à l'affrontement, que l'on était obligé d'appendre ses leçons.