Longtemps que je n'avais pas lu un roman aussi noir, noire comme la guerre d'Algérie et les traces laissées, et avec deux histoires paralèlles, en 2009 et pendant cette guerre,
Antonin Varenne alternant chaque époque, et on comprend très vite que certains des protagonistes vont se retrouver.
Mais noire également la vie de certains des acteurs de ces deux histoires, Georges Crozat, dit le Mur, flic en journée et boxeur le week-end, -son histoire se passe de nos jours-, Pascal Verini envoyé au DOP en Algérie pendant deux ans, en 1957 et 1958, noir leur avenir, noir leur "espace de salut et d'espoir", en l'état, pour les deux, une prostituée. Georges voit la sienne après chaque combat dans un hôtel du 18ème parisien, et qui l'aide à penser ses plaies -tant celles de son corps que de son âme-; pour Vérini, c'est au bordel d'Alger, et avec laquelle il veut faire sa vie à la fin de cette sale guerre.
Antonin Varenne s'est plongé dans les affres et les tourments de chacun des personnages de ce roman, un roman dur, dans lequel très peu d'hommes trouvent leur équilibre et un juste milieu, et où le monde se divise entre ceux qui ont des états d'âme et tentent d'éviter l'innomable, et ceux, par contre, qui s'y complaisent ( tels Rubio, Colona, les tortionnaires du DOP algérien).
Si on a compris très vite qui est "Le Mur", (crozat, flic et boxeur), on sait au tiers du livre qui est "Le Kabyle", mais il faudra attendre le dénouement pour savoir qui est ce fameux "marin".
Un récit qui a réveillé en moi non pas des souvenirs mais des "manques" de souvenir de cette période, mon père ayant été envoyé deux fois en Algérie, n'en ayant jamais fait allusion, gardant enfoui ce qu'il avait pu y voir, un peu comme le père de l'auteur.
Je n'avais pas aimé "
Fakirs", grâce auquel Varenne avait obtenu plusieurs prix, dont celui du jury des lecteurs du Point en 2010 -jury dont je faisais partie- et comme je l'avais rencontré au salon Lutetia en fin de cette même année, je le lui avais dit en lui donnant les motifs (mais ceci est une autre histoire); l'auteur m'avait avoué avoir lu cette critique , y compris
les autres, et avait eu cette formule: "laisse tomber ton boulot de flic et écris des polars".
J'ai par contre beaucoup aimé "
Battues", un roman "montagnard" qui n'a pas été sans me rappeler certains polars de
Franck Bouysse, et celui-ci, même si j'ai eu du mal à le terminer, parce que c'est quand même un récit "dur", bien plus dur que ceux que
Simenon qualifiait de tels (en fait, ses récits ne mettant pas en scène le commissaire
Maigret).
Quant au fait de savoir s'il existe une lueur d'espoir pour les personnages centraux de ce roman noir, si l'on peut faire table rase du passé, si celui-ci impacte à jamais notre présent et futur, si l'on en sort indemme, il vous faudra lire "Le Mur, le Kabykle et le marin".