La littérature sur le conflit de la première guerre mondiale est riche de grands livres, nombre d'ouvrages sur cette sombre période s'illustrent par leur profondeur, leur authenticité, indéniablement due au fait que les écrivains de talent qui ont porté l'uniforme et connu les affres de cette guerre sont légion.
Capitaine Conan figure dans cette littérature d'exception, et sans doute à une place particulière. Il n'est pas ici question de la Somme ou de Verdun, car l'histoire se déroule en un lieu et un temps particulier, au moment des derniers combats et juste après l'armistice, après que le sort des armes ait désigné vainqueurs et vaincus. Les faits se placent sur un front que nous avons tendance à méconnaître, celui de l'armée d'Orient, le front des Balkans, où tant d'hommes combattirent et disparurent, souvent dans l'ignorance de leurs contemporains.
En nous présentant le devenir impossible de ce capitaine de tranchée, ce chef de « corps franc », Roger Vercel fait, au fil des pages, éclater les certitudes morales d'une société qui s'est plongée dans l'horreur totale et qui tient à en effacer les traces les plus infamantes, fut-ce en supprimant ou rejetant ses propres héros, ceux qui l'ont sauvé de l'abîme.
Ces mêmes hommes un temps sublimés inspirent, à l'heure de la paix, la peur ou un certain mépris, car ils s'avèrent incapable de ressortir de ces tranchées, où ils tranchèrent des vies avec méthode et archaïsme, il leur est désormais impossible de déposer l'esprit guerrier qui leur fut imposé.
Le capitaine Conan sait que lui et sa troupe, composée de vulgus pecum ayant appris à tuer sans état d'âme, unis par les mêmes horreurs quotidiennes, par le partage de l'expérience du risque perpétuel, sont et resteront désormais des « inadaptés ».
Le temps de la paix n'est pas le leur, lui et sa troupe de « routiers », de « coupe-jarrets », ont trop longtemps versé dans la folie guerrière pour revenir un jour à la vie civile. Cette fraternité de tranchée, que les embuscades, les coups de main nocturne, à l'arme blanche, ont rendu indissoluble, condamne ces hommes à rester ce qu'ils sont : -des guerriers, à qui on ne peut dire que désormais l'arme est à la bretelle, et qu'ils doivent désormais reprendre la faux et semer la vie.
Non, les corps et les âmes ont trop longtemps été plongés en enfer pour qu'ils espèrent entrevoir le salut.
C'est ce drame que dépeint Roger Vercel dans ce livre, d'une grandeur indéniable, et qui fut adaptée avec justesse au cinéma.
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J'avais lu divers romans sur la Grande Guerre mais pas encore celui-ci, initialement publié en 1934. "Capitaine Conan" attire l'attention du lecteur sur les combats en Orient, pendant la Grande Guerre. On a généralement oublié que l'offensive des Alliés, sur ce front, a obligé les Bulgares à déposer les armes dès le 29 Septembre 1918 - ce qui annonçait les prochaines défaites ottomane et autrichienne.
Voici un bref résumé du roman:
En 1918, Conan est officier dans un corps franc sur le front bulgare. (Un corps franc était constitué d'hardis soldats qui réalisaient localement des coups de main audacieux contre l'ennemi). Après l'armistice, les hommes de Conan ont du mal à respecter les règles de la vie civile. Certains, qui dépassent vraiment les bornes, sont poursuivis par la justice militaire.
Un autre officier français, Norbert, se voit bombardé "commissaire-rapporteur" (l'équivalent de procureur) devant la cour martiale. Cet homme courageux et sympathique est porté à l'indulgence. Pourtant, lors d'un procès, un déserteur soupçonné de trahison est condamné à mort. Plus tard, c'est Conan lui-même qui est accusé du meurtre d'un civil roumain. Norbert, qui est son ami, choisit de quitter ses fonctions de commissaire-rapporteur. Il est alors renvoyé au front (qui se trouve maintenant à la frontière roumaine avec l'Ukraine), où les soldats français combattent les Bolcheviks russes. Le corps franc, incluant même les militaires condamnés par la justice militaire, finit par remporter la victoire.
On croit que le roman va finir là, mais il y a encore un épilogue: plusieurs années après la fin de la guerre, Norbert va rendre visite à Conan. Celui-ci, incapable de se réadapter à la vie civile, s'est complètement laissé aller; il est résigné à mourir prochainement.
Dans ce livre, malgré la description des combats féroces, on est très loin des romans comme "Le Feu" ou "Les croix de bois". Ici, le sujet principal est celui-ci: les soldats, devenus machines à tuer, ne savent absolument plus vivre d'une manière "normale". Ces hommes ont été définitivement pervertis par la guerre.
Mais voici peut-être le plus remarquable. L'auteur a su recréer d'une façon réaliste l'ambiance parmi les Poilus. Ce milieu a ses particularismes. En particulier, le vocabulaire de l'idiome couramment employé par les soldats, dans le livre, m'a échappé en grande partie. D'où une sensation de grande distance par rapport à ces hommes et à leur vie quotidienne si éloignée de celle que je connais personnellement.
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Ce livre patientait depuis bien des années ! Il faut dire que sa couverture, le titre et le sujet en rapport avec la guerre n'avaient pas grand chose pour me faire rêver. Mais au final, c'est une belle découverte, que mon challenge "prix Goncourt" m'a permis d'apprécier.
C'est, certes, un livre en rapport avec la guerre de 1914-1918, mais c'est avant tout un livre plein d'humanité avec des personnages attachants, hauts en couleurs, tout particulièrement ce Capitaine Conan, qui gagne a être connu.
L'écriture y est également remarquable. Il est dommage que cet auteur soit tombé dans l'oubli. J'en connais un sur Babelio qui va s'insurger de tels propos. Mais on peut compter sur lui et on le remercie de les ressusciter !
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Ce récit témoigne des difficultés rencontrées par les poilus pour un retour à la vie civile, adaptation assez fidèle au cinéma par Tavernier qui a eu la bonne idée de mettre à l'affiche Torreton dans le rôle de Conan et le Bhan dans celui de Norbert.......
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