"
Léna" est une de ces héroînes que peut-être
Joseph Kessel aurait aimé, une de ces femmes qui ne subit pas sa vie, qui a décidé de la vivre, même si fatalement pour cela il lui faudra s'enfoncer dans la plus noire des tragédies.
Mais c'est
Roger Vercel qui, dans ce sombre roman, a donné vie à
Léna Apostolovat, avec toujours cette façon d'insuffler sentiments et émotions qui façonne ses épais personnages.
Comme dans "
capitaine Conan" qui lui vaudra le prix Goncourt en 1934,
Roger Vercel s'inspire ici de son expérience de magistrat-instructeur à la prévôté sur le front d'Orient durant la
première guerre mondiale.
Le rude décor est planté, la Macédoine martyrisée par les grecs, les bulgares, les serbes, les albanais et les turcs.
Le lieutenant Queslain a démissionné de l'aviation par dégoût de tuer en aveugle du haut de ses bombardements.
Blessé dans les tranchées et fait prisonnier, il va être jeté et ballotté dans un convoi à travers l'imbroglio des haines déchaînées alors dans les Balkans.
Léna est la jeune macédonienne, médecin de guerre, qui a soigné Queslain.
Meurtrie dans sa chair par le martyr de son pays, elle va entretenir avec lui, le soldat français, une relation complexe et difficile.
Celle-là même qui lui est inspirée par un nationalisme exacerbé par le devoir, la vengeance et la fatalité.
Ce livre est un roman puissant, même si une certaine hystérisation du personnage de
Léna vient en gâcher quelque peu l'épilogue.
Pourtant, il s'en dégage une forte réflexion pacifiste.
L'horreur et la haine de la guerre y sont décrites de façon réaliste, d'une façon telle qu'elle ne peut avoir été inspirée que dans la moelle et l'instinct d'un véritable combattant meurtri.
Roger Vercel réfute ici tout romantique héroïsme du soldat pour le ramener à la haine, la honte, le dépit, la peur et le désespoir.
Je ne suis pas payé pour raconter des histoires, écrit-il, la guerre est une balance de vies et de morts.
Mais ce roman de
Vercel souffre de quelques longueurs, et d'une certaine confusion dans les haines éprouvées pour qui, du lecteur d'aujourd'hui, ne maîtrise pas ce contexte historique d'Europe centrale.
Cependant la plume de
Vercel, comme à son habitude, est efficace.
Elle peint des paysages, elle brosse des portraits plus réalistes que nature.
Et toujours en dit long sur notre part d'humanité ...