Citations sur Passagère du silence : Dix ans d'initiation en Chine (118)
Mais c’est la peinture orientale de la nature, chinoise et japonaise, qui fut le point de départ de ma quête. Ces artistes me semblaient les plus accomplis. J’admirais leur sens de l’humour et vénérais l’étude contemplative du monde, extrêmement élaborée dans leurs œuvres.
(I- Socquettes blanches et jupe bleue, p.22)
Il* trébuchait dans ses papiers, ses cartons de documents poussiéreux ; il était à quatre pattes devant ses placards quand, soudain, il poussa un gémissement de bonheur : il avait trouvé son trésor emballé, à la manière chinoise, dans du papier journal. Il me l’offrit avant mon départ. Je l’ouvris avec impatience : c’était une pierre de rêve. « Si tu veux, me dit-il, peindre un jour des paysages, crois-moi, étudie de près la profonde fraternité de destin entre l’oeuvre de la nature et celle de l’homme. Médite sur cette pierre, j’en serai fier. Elle t’ouvrira les portes du paysage intérieur. » C’était ma première pierre de rêve ; j’étais à la fois comblée et bouleversée.
Ce présent provoqua en effet un éveil violent à mes recherches futures. Sur le moment, j’eus du mal à croire à la beauté naturelle de la pierre : ses veines suggéraient un paysage sublime dans une composition simple et harmonieuse. Je la frottais, la polissais nerveusement, incapable de me convaincre qu’elle n’était pas peinte. Depuis ce jour, je fais collection de pierres de rêve : elles ne cessent de m’apprendre le mystère du vivant.
*Lu Yanshao
(pp. 248-249)
Il était extraordinaire de voir ces jeunes s'inspirer entièrement d'une culture étrangère. Mais qu'avaient-ils eu le droit de conserver de la leur ? On leur avait refuser cet héritage sous prétexte qu'il n'était qu'un ramassis de vieilleries. Reprendre ainsi à leur compte une culture qu'ils ne connaissaient que par des reproductions restait un procédé totalement artificiel chez certains mais, chez d'autres, s'était intériorisé de façon surprenante. Je me suis interrogée sur leur démarche puisqu'elle me concernait directement : au fond, je voulais parcourir le chemin exactement inverse du leur. [...] Si une étrangère était capable de pratiquer l'art du pinceau traditionnel chinois comme eux maîtrisaient la peinture à l(huile, elle devait parvenir à créer une peinture nouvelle. J'ai vite compris que l'entreprise exigeait deux conditions indispensables. La première était de maîtriser la technique chinoise, et d'abord la calligraphie, car celle-ci contient tous les traits utilisés par la suite dans le paysage et autres sujets. Cela demandait un travail énorme et beaucoup de patience ; il fallait cet acharnement et ce sérieux dont les étudiants chinois donnaient l'exemple quand ils étudiaient notre peinture à l'huile. [...] La seconde condition était de ne pas se limiter à la technique. Il fallait acquérir la culture intérieure qui l'accompagne, pas seulement des connaissances livresques, même si elles sont nécessaires. Je devais aussi m'imprégner de la pensée chinoise, devenir un peu chinoise par l'esprit, par toute ma façon d'être et même de vivre.
(V- Quelques avatars de Courbet à Millet, p.86 sq)
Je renais un grand plaisir à calligraphier des phrases comme: "L'éclosion reste cachée", d'Héraclite (extraite de ses fragments, n°123) ou encore: "Toute beauté est joie qui demeure", de John Keats.
Grâce à ces modestes plaisirs, commençait à s'ancrer en moi la conviction que, dans l'art calligraphique, se profilait aussi un art de vivre.
(I- Socquettes blanches et jupe bleue, p.20)
Ce qui m'intéressait, c'était le vivant, le trait qui saisit la vie.
(I- Socquettes blanches et jupe bleue, p.16)
"...Que savons-nous de ce qui nous arrive après la mort? Le mieux est de suivre les appels de son cœur. L'homme bon y obéit et parle ou garde le silence, suivant les moments.
-Vous me faites penser à Flaubert qui disait: "Je ne peux supporter ni ceux qui affirment que Dieu existe ni ceux qui affirment qu'il n'existe pas."
Point n'est besoin de comprendre les idéogrammes chinois pour saisir la beauté en mouvement et atteindre ce que Sénèque appelait "la tranquillité de l'âme".
La vie est phénoménologie pure, transformation incessante d'une violence inouïe.
(I- Socquettes blanches et jupe bleue, p.10)
Nous vivions la transformation sur la feuille blanche : la mutation du ciel devenu eau, de la terre devenue ciel, du caillou devenu nuage, de la barque devenue récif; soudain, tout était possible, la liberté d'inventer un univers s'offrait...
Quand je lui dis que mes camarades se moquaient de mes exercices à répétition, il me raconta l'histoire du vieillard fou qui déplaça la montagne: devant chez lui, une montagne cachait la vue ; avec entêtement, il se mît à la creuser. Tout le village se moquait de lui. "Peu importe, rétorquait-il. Mes fils, mes petits-fils, mes arrière-petits-fils reprendront ma tâche et, finalement, ils déplaceront la montagne."