Un
Jules Verne sans voyage ? Impossible. A pied, à cheval, en voiture, à dos d'éléphant, en ballon, en boulet de canon, sur la Terre, sous la Terre, dans le ciel et sous la mer, le bon Jules nous a promenés partout et de toutes les façons, des plus rationnelles aux plus ludiques. Tiens, en parlant de ludique, comment ne pas parler du « Testament d'un excentrique » ?
En voilà un qui mérite bien son nom, ou plutôt son qualificatif : L'honorable William J. Hipperbone, un milliardaire américain, est, pour le coup, un parfait excentrique, il a décidé de faire son testament en fonction d'un gigantesque jeu de l'oie couvrant les Etats-Unis continentaux (donc moins l'Alaska et les îles Hawaï, qui ne rejoindront l'Union qu'en 1959). L'héritier sera le gagnant de la partie. Inutile de dire que ça fait le buzz dans le Landerneau d'Outre-Atlantique : six candidats se présentent, plus un septième qui conserve l'anonymat, un certain X.K.Z. le jeu se déroule comme le jeu de l'oie classique, à cette différence que ce ne sont pas les pions qui bougent, ce sont les joueurs, et que les cases ne sont autres que les états de l'Union, que l'on a numérotés. Plus, évidemment, tous les impondérables inhérents à ce genre d'entreprise, maladie, arrestations – la fameuse case prison -, duels…) et d'autres évènements plus joyeux, comme une belle romance entre deux concurrents…
Du
Jules Verne pur jus : du voyage, de l'aventure, du mystère, des rebondissements, pour une fois des femmes en pôle position, et un coup de théâtre final. On en redemande ! Pourtant ce roman-là a quelque chose de particulier. En général les héros vernien qui voyagent ont un but, qu'ils atteignent grâce à la volonté, parfois au hasard, mais ils ne partent pas « à l'aveuglette ». Dans «
le Testament d'un excentrique », les six concurrents savent, dès le départ, qu'ils sont les jouets d'un jeu de dés qui peut les amener dans n'importe lequel des états de l'Union : ils partent « les yeux bandés ». le seul but qu'ils ont en ligne de mire est la fin du jeu, qui n'a ni lieu ni date, et peut être remis en question par le jeu lui-même (coup de dés fatal, retour en arrière, prison…) ou par les aléas du voyage (maladies, accidents, altercations diverses…)
«
le Testament d'un excentrique » fait partie, comme « le Tour du monde en 80 jours » de ces romans où le voyage est le thème principal, et à peu près unique : c'est un roman plus « géographique » que « scientifique » : ici pas de savant inventeur d'un nouveau mode de transport, ou d'une arme révolutionnaire, ou d'une quelconque invention appelée à changer le cours du monde, ici, pas de voyage hors des sentiers battus, encore moins hors du plancher des vaches, ici tout est balisé, ordonné, prévu : l'originalité de ce roman est justement de rebattre ces cartes bien rangées et de leur donner un ordre aléatoire (si je puis utiliser cette expression).
Pour le reste l'ami Jules continue avec ce qui a si bien marché dans les romans précédents le héros, un américain d'ascendance française, a un nom bien français (Max Réal) et ressemble comme deux gouttes d'eau à Michel Ardan («
de la Terre à la Lune »), Tom Crabbe et Tom Milner reprennent les rôles du bon géant et du petit rusé, comme Pointe Pescade et Cap Matifou («
Mathias Sandorf »), eux-mêmes lointains souvenirs de Porthos et D'Artagnan , quant aux colères de Hodge Urrican, elles ne sont pas sans rappeler celles de
Kéraban le têtu (dans le roman éponyme)…
Pas le plus connu des romans de
Jules Verne, mais un bon petit bouquin sympa que vous lirez… sans passer votre tour.