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Citations sur Article 353 du code pénal (291)

Maintenant je demande : est-ce que le silence, c’est comme l’obscurité ? Un trop bon climat pour les champignons et les mauvaises pensées ? Maintenant c’est sûr que je dirais volontiers ça, que les vraies plantes et les fleurs, elles s’épanouissent en plein jour, et qu’il faut parler, oui, il faut parler et faire de la lumière partout, oui, dans toutes les enfances, il ne faut pas laisser la nuit ni l’inquiétude gagner. Maintenant je sais, monsieur le juge, je sais comment on transmet tant de mauvaises choses à un fils, si sous l’absence de phrases il y a toujours tant d’air chargé qui va de l’un vers l’autre, selon cette porosité des choses qui circulent dans une cuisine le soir quand on dîne l’un en face de l’autre, et que peut-être, dans la trame des jours qui s’enchaînent, tous ces repas où il m’a raconté sa journée de collège et le métier qu’il voudrait faire plus tard, tous ces soirs où je ne l’écoutais pas vraiment, cela, croyez-moi, ça travaille comme une nappe phréatique qui hésiterait à trouver sa résurgence. Et vous, père en forme de rocher absent, ce n’est pas la peine d’essayer de mentir, ce n’est pas la peine de dire « si, bien sûr, je t’écoute » parce qu’il sait, n’importe quel enfant sait parfaitement si on n’écoute pas, si on refait à l’infini je ne sais pas quelle boucle dans son esprit, comme une vitre devant les yeux qui vous sépare du monde et alors, à mesure que votre pensée a l’air de vous emmurer, votre enfant, vous ne le savez pas encore, vous l’abandonnez sur place.
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Médecin ou juge, j’ai pensé depuis, ce ne sont pas des gens qui marchent aux sentiments, au contraire, ils sont trop occupés à en écarter les branchages et briser l’épaisseur des sous-bois qu’ils habitent. Même, quelquefois, quand il me regardait, le juge, on aurait plutôt dit qu’il avait une machette dans les yeux et qu’avec elle il frayait son chemin à l’intérieur de moi, comme s’il visait un point central que je ne connaissais pas moi-même, quelque chose qu’il aurait peut-être simplement appelé « les faits » et parce qu’il pensait qu’à l’intérieur d’eux, « les faits », il y avait la vérité. Comme si elle, la vérité, elle allait émerger toute seule hors de l’eau, sèche et sans rides.
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En tout cas, c’est comme ça qu’aujourd’hui je me représente la dernière décennie quand j’en amène toutes les lignes ici même devant vous, et ça fait comme un cerf-volant dont j’actionnerais les commandes depuis une plage, comme si soudain j’avais une vue claire et comme surnaturelle du temps qui passe, mais c’est toujours facile, j’ai dit, avec le recul, de tisser les choses en destin, et alors border les années avec je ne sais quels piquets ou poteaux d’angle et même une couleur qui en déciderait la teinte définitive. Seulement, quand on était dedans, dans chaque année ouverte sur quelle bouteille de champagne, il n’y a jamais eu de carte IGN qu’on nous aurait distribuée le jour de l’an pour nous conduire dans les temps futurs. Jamais rien d’autre que les lignes un peu floues qu’on essaie chacun de dessiner pour suivre la pente des saisons, mais c’est tout. Et que tout le problème c’est qu’il faut encore prendre les virages soi-même. Encore que me concernant, je n’ai pas eu l’impression de prendre beaucoup de virages. C’est l’avantage de la bêtise : on reste au carrefour et on attend de se faire renverser par une voiture. Je veux dire : est-ce que c’est moi qui ai décidé que ma femme parte du jour au lendemain sans presque prévenir ? Est-ce que c’est moi qui ai décidé de licencier les trois quarts du personnel de l’arsenal ?
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Peut-être que c’est Le Goff qui avait raison, que j’étais trop isolé ces derniers temps, alors le premier qui s’approche et rompt la solitude, on s’en fiche de savoir qui c’est, pourvu que tout s’engouffre et s’encastre en vous comme une pièce de puzzle que vous auriez découpée exprès pour qu’elle épouse les contours de votre âme. Voilà. C’est peut-être ça, la principale chose que j’ai apprise ces dix dernières années : qu’on finit toujours par aimer qui nous aime.
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Erwan, je m'en suis bien occupé. Toutes ces années ensemble, je ne l'ai jamais laissé trainer seul dans le bourg désert, je ne l'ai jamais planté à l'arrêt de bus avec les autres garçons de son âge, avec cette habitude qu'ils ont de venir s'ennuyer là, sous l'abri de béton les longs samedis après-midi
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Peut-être que la mémoire ce n'est rien d'autre que ça, les bords coupants des images intérieures, je veux dire, pas les images elles-mêmes mais le ballottement déchirant des images à l'intérieur de nous, comme serrées par des chaînes qui les empêchent de se détacher, mais les frottements qui les tendent et les retiennent, ça fait comme un vautour qui vous déchire les chairs, et qu'alors s'il n'y a pas un démon ou un dieu pour vous libérer, le supplice peut durer des années.
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Mais cela, le juge, on aurait dit que ça ne l'intéressait pas, aussi indifférent qu'un médecin aux plaintes de ses patients. Médecin ou juge, j'ai pensé depuis, ce ne sont pas des gens qui marchent aux sentiments, au contraire, ils sont trop occupés à en écarter les branchages et briser l'épaisseur des sous-bois qu'ils habitent. Même, quelquefois, quand il me regardait, le juge, on aurait plutôt dit qu'il avait une machette dans les yeux et qu'avec elle il frayait son chemin à l'intérieur de moi, comme s'il visait un point central que je ne connaissais pas moi-même, quelque chose qu'il aurait simplement appelé ‹‹les faits›› et parce qu'il pensait qu'à l'intérieur d'eux, ‹‹les faits››, il y avait la vérité. Comme si elle, la vérité, elle allait émerger toute seule hors de l'eau, sèche et sans rides. Après tout, pourquoi pas?
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Le problème, c’est que même un gars mauvais, même la pire des crapules, il y a des moments où elle n’est pas une crapule, des moments où elle ne pense pas à mal. Et croyez bien que ça ne simplifie pas les choses pour un gars comme moi. Les gens comme moi ont besoin de logique, et la logique voudrait qu’un gars méchant soit méchant tout le temps, et pas seulement un tiers du temps. Peut-être, j’ai ajouté, peut-être c’est même pire que cela. Peut-être que ce type n’a jamais pensé à mal, peut-être que ça n’existe pas, le mal vraiment, le mal sciemment inscrit au fond de soi, peut-être qu’il y a toujours quelque chose en vous qui le justifie ou l’absout ou l’efface, je veux dire, ce type a suivi sa ligne.
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Il y a le mot providence qui m'est revenu à l'esprit, comme un parasite impossible à éradiquer, à cause de toutes ces années qui depuis l'avaient vu flétrir et pourrir sur pied. Le mot providence, je le voyais maintenant dans le salon, fissuré de toutes parts qui cognait sur les vitres et continuait de se désagréger, de s'évanouir comme s'il allait se glisser bientôt sous la porte close et eventer sa puanteur dans toute la rade. Et dans le silence quí pesait, Le Goff a fait un bruit avec sa bouche, une sorte de « pshitt » en même temps qu'il ouvrait la main dans l'air, comme pour dire, voilà, I'argent, tout l'argent, pshitt, il s'est évaporé.
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Je ne vous en veux pas de ne pas comprendre, j'ai repris, vu le temps que j'ai mis, moi, à comprendre, à mettre les noms qui conviennent sur tout ce mécanisme, mais maintenant j'ai compris, j'ai compris comment il a fait pour se tenir au milieu de nous dans sa Porsche et tous les restaurants de la ville : au fond, plus vous faites une chose absurde et plus vous avez de marge de manœuvre, parce que l'autre en face, l'autre, tant qu'il n'a pas mis ça dans sa machine à calculer à lui, tant qu'il n'a pas fabriqué une petite machine à lui pour domestiquer l'absurdité, il est paralysé. Les grands boxeurs le savent, quand le jeu de l'autre est dans leur boîte, c'est-à-dire seulement quand il est enfin enfermé dans leur cerveau comme sur le plateau d'une petite boîte à musique, là, oui, ils savent qu'ils peuvent combattre mais avant ça, avant ça vous prenez des coups, et puis c'est tout. Et plus vous prenez des coups, moins vous êtes lucide, et moins vous êtes lucide, plus vous prenez des coups, vous comprenez ?
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