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3,99

sur 1591 notes
Premier coup de coeur 2017 !

L'article 353 du Code de Procédure pénale permet d'en appeler moins aux preuves qu'à la conscience des juges et jurés de la cour d'assise, en somme se fier à l'intime conviction .
Un village du Finistère nord, les années 90.
Suite à une arnaque immobilière, Martial Kermeur jette à l'eau Antoine Lazenec durant une partie de pêche. Lazenec se noie, Kermeur est arrêté.
Face au juge il déroule tout le film de sa vie qui l'a mené là. Son licenciement de l'arsenal, le départ de sa femme et l'apparition de Lazenec, "amené par la providence".......et comment il s'est fait " avoir en beauté ".
J'ai été saisi par le mode d'expression puissant de Kermeur, se souvenant, racontant et analysant ce film où il voit progressivement se développer la vérité et l'inéluctable fin . Des expressions et métaphores improvisées sur le moment, langage d'un homme simple, tout sauf un intellectuel, (....au fond, plus vous faites une chose absurde et plus vous avez de marge de manoeuvre, parce que l'autre en face, l'autre, tant qu'il n'a pas mis ça dans sa machine à calculer à lui, tant qu'il n'a pas fabriqué une petite machine à lui pour domestiquer l'absurdité, il est paralysé"), face à un juge qui, lui emploie la langue officielle, celle du code pénal.
Ce face à face,où Kermeur voit le juge en psychologue, va l'aider à " tout déterrer jusqu'à la poussière des os" et à faire de la lumière sur le cours des choses ("Peut-être même, la lumière, c'est vous, j'ai dit au juge, peut-être vous aimantez mes souvenirs et vous les faites tourner en moi comme des anneaux autour de Saturne.").

Un livre qui touche à la question fondamentale de la justice naturelle qui ne tombera peut-être jamais ou l'injustice qui ne sera jamais réparée.
Un livre au langage foisonnant avec une note politique dans le fond et l'humour en bonus, que je ne voudrais pas analyser plus, car rien ne vaudrait sa découverte par vous-même.
Un vrai plaisir de lecture , le meilleur que j'ai lu de lui !


C'est toujours une certaine forme d'ignorance qui produit des pensées neuves.( Tanguy Viel )
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La pluie tombe, les volets sont fermés. le vent souffle. Je suis comme dans un huis clos avec ce livre où j'ai vécu une tempête émotionnelle dans mon antre, pourtant pas en Chambre du conseil… je lâche l'affaire, je rends ma chronique de l'article 353 du Code Pénal de Tanguy Viel…

L'histoire vous la connaissez Martial Kermeur, ancien ouvrier de l'arsenal de Brest a tué Antoine Lazenec, à bout, suite à une monstrueuse escroquerie immobilière, il a tout perdu.
Il a été victime de manipulation, englué dans l'adversité, vécu l'impuissance face à la culpabilité de son silence, la douleur faite aux siens : il a fini par prendre conscience du jeu de dupe dans lequel il est tombé et qu'il se refusait de s'avouer.

Etrangement, son fils Erwan, observe, absorbe comme une véritable éponge, tous les déboires de son père…

Alors Kermeur après avoir réglé son compte à Lazenec,
Il doit rendre des comptes à la justice. Il est déféré devant un juge d'instruction. Il a rendez-vous avec sa vie.

Dans un face à face inédit rendu par la narration, une atmosphère feutrée d'un bureau de palais de justice du Finistère, l'accusé se rassemble dans une confession profondément émouvante, nous livre un plaidoyer qui fait mouche, donnant l'impression qu'il a revêtu une robe d'avocat, pèse le pour et le contre avec sa conscience, fait état des dommages collatéraux, explique comment il en est arrivé là….

Et le juge silencieux, écoute, engrange, se raidit. Pour séparer l'ivraie du bon grain, il prend la parole à des moments stratégiques, le pousse dans ses retranchements pour aller aux tréfonds de Kermeur, semblables à ceux de l'océan.

La tension est palpable à travers l'écriture, un moment de vérité, solennel entre deux hommes….

J'ai été brassée par le talent d'orateur de Tanguy Viel, tel un homme qui plaide…

Au cours de ma lecture, je me suis surprise à me demander qui est le narrateur, Kermeur, l'écrivain ? surtout après avoir entendu son lapsus à LGL, souligné par François Busnel….

Cette histoire est maginifique….troublante, elle aborde en filigrane tellement de sujets qui nous renvoient à nous-mêmes. Ce n'est pas un livre de droit pourtant, mais cela me rappelle étrangement un procès en Cour d'Assises à laquelle j'ai assisté en audience publique, où dans leur âme et conscience, dans le recueillement et le silence, les jurés ont rendu leur décision….

Accusé, levez-vous !
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Voici un roman hautement déstabilisant par son côté hypnotique et cette précision d'orfèvre dans le psyché humain.

Qu'est ce qui a poussé Martial Kermeur a balancé à la mer le promoteur immobilier Antoine Lazenec ? Kermeur devra s'expliquer avant d'être jugé pour homicide. Il le fera en huit clos devant le juge à l'affût de chaque détail.

Une confession habile et noire où Kermeur détricotera le fil de l'histoire, l'emprise de cet agent immobilier qui promet le nouveau saint tropez du Finistère dans un complexe immobilier mais ne sera qu'une grossière arnaque dévastatrice.

Tanguy Viel passe à la loupe chaque centimètre d'un homme acculé, manipulé, jugé par son propre fils et jugé par sa propre conscience. Un homme qui suite à une mauvaise rencontre sera amené à se rencontrer lui-même dans la plus âpre et noire sincérité, dénouant le fil de ses dernières années où à force de déboires (un licenciement, un divorce), cet homme accueillera la providence sans se douter que sous ses airs affables se cache le corbeau de la nuit.

Un huit clos prenant, intelligent, ardu qui mérite une pleine concentration pour cerner l'ampleur du désastre d'un homme trompé.
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Je n'ajouterai pas grand -chose , car tout a été dit, déjà!
Voici un huit- clos magistral entre deux hommes que tout sépare....

Ce récit ou plutôt cette longue confession à l'unique narrateur, à la parole libre, parsemée de doutes, d'interrogations, d'omissions , de renoncements, d'une admirable densité, semblable à l'enchaînement de mauvaises réponses à un très grand questionnaire pose la question essentielle du sens de la justice des hommes !
La parole libre, anarchique, humble et vraie d'un homme brave, d'une pénétrante humanité , son parcours psychologique, avec ses mots simples, sa crédulité , la "Honte "de cet homme arnaqué, floué, sali, ruiné, accablé par l'immonde manipulation qu'il a subie . Un homme las et défait !

Face au juge, il se souvient, ajuste, raconte, déroule le film de sa vie : licenciement, départ de sa femme, survenue de Lazenec, retrace désespérément "la ligne droite des faits", le poids des échecs et des infortunes......
Un récit remarquable , une réflexion, une méditation sur le mal en l'homme, la responsabilité individuelle, les choix moraux, le destin et le mécanisme d'un scénario menant d'une manière implacable au drame !
Au final la conscience d'un Juge peut changer votre vie!!!
Un livre lu en une journée !
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Enfin, j'ai pu découvrir l'objet de tant de critiques élogieuses !
C'est d'abord la curiosité qui a motivé l'empressement pour me procurer ce livre.
Tanguy Viel : j'ai " fait sa connaissance " il y a quelques années avec "Paris- Brest", j'avais bien aimé.
Mais là, une telle expression de son talent me laisse sans mots !
... et, c'est gênant quand on veut écrire une critique !

En vérité, je suis sous le choc, envahie par l'émotion face au magnifique plaidoyer d'un homme simple, Kermeur , ouvrier de l'arsenal de Brest ,sans emploi désormais et face à un juge pour une affaire de meurtre.
Kermeur est un homme simple et il ne va pas chercher à se dérober; Il va se présenter au juge avec ses mots à lui, suivant sa pensée directe, parfois brute, sans faux-semblants et peu à peu, sous la simplicité ,l'auteur laisse percevoir toute la profondeur et l'humanité de cet être granitique ,cet homme dont le récit va droit au coeur car il a en lui la force des sages.

C 'est un huis clos rendu vivant par le style : on sort des sentiers battus de la narration ,on épouse totalement les méandres de la pensée de Kermeur qui peu à peu invite le juge à partager son univers ,ses pensées, ses convictions . le juge, et donc le lecteur...
Quant à l'article 353 , il apparaît seulement en conclusion.
Mieux valait donc en ignorer le contenu pour ménager le suspense même si "nul n'est sensé ignorer la loi "!

Puis, comme pour tout petit bijou ,il faut un écrin et l'auteur a choisi pour cela la rade de Brest et la beauté sauvage de la presqu'île ,le pays de Plougastel et de Crozon. Des zones encore relativement préservées du béton, protégées par la loi littoral mais outre l'intérêt de la fiction, ce récit met l'accent sur le combat sans fin qui doit perdurer pour préserver la beauté du lieu.
Cela dit , le récit de Tanguy Viel offre bien sûr quelques ponctuations poétiques inspirées par la beauté des paysages et surtout par la lumière exceptionnelle qui baigne le pays d'Iroise ,là où naît l'océan...

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Parce qu'au cours d'une partie de pêche au large de Brest, il a jeté et abandonné un homme à la mer, le narrateur Martial Kermeur a été déféré devant un juge. Il est auditionné, mais, dans le huis clos qui le place face à lui-même autant qu'au magistrat, sa confession se mue en implacable réquisitoire, et, sous les traits du meurtrier, se profile bientôt la victime d'une insupportable machination. L'on ne devient pas assassin du jour au lendemain. Victimes ou coupables, tout est parfois question de point de vue...


Son quasi monologue s'ouvre sur l'horizon modeste d'un ouvrier de l'arsenal de Brest, horizon encore raccourci par quelques vents contraires : opportunité manquée, divorce, chômage, et voilà notre homme seul avec son fils de onze ans et une prime de licenciement, de quoi investir dans un bateau de pêche et enfiler le ciré jaune, seule reconversion plausible dans cette région sans avenir économique. C'est dans cette grisaille que surgit une perspective inespérée, en la très avenante personne d'Antoine Lazenec, un promoteur immobilier vendeur de rêve et de standing, plein de projets dynamisants que plus personne ici n'aurait osé imaginer. Séduit comme beaucoup d'autres par la promesse d'un « Saint-Tropez du Finistère », Kermeur lui confie tout son argent. le temps passe, mais aucun complexe immobilier ni touristique ne sort de cette terre fatiguée, usée jusqu'à la moelle par les vents et les flots.


Comme souvent les victimes de grosses arnaques, si bien prises à leurs espérances qu'elles préfèrent s'enfermer dans le déni malgré les évidences, les pigeons vont se laisser leurrer des années durant. Jusqu'à ce que les drames s'enchaînent, dans une cascade n'épargnant que l'escroc, plus que jamais plastronnant et occupé de son grand train, sans remords ni conscience dans son aplomb inoxydable et dans son intouchable toute-puissance. Enfin revenu de sa crédulité, dépouillé, trahi et humilié, mais surtout blessé au travers de son fils, victime collatérale, et désespérant d'une quelconque « justice naturelle qui ne tombera peut-être jamais », Kermeur décide, dans sa colère, d'entrer en révolution pour inverser, ne serait-ce qu'une fois, le sempiternel cours de l'histoire qui veut qu'une poignée de puissants menteurs et corrompus impose ses dés pipés à une majorité d'éternels perdants.


Se dévidant en longues phrases qui reflètent à merveille les efforts d'ordonnancement de la pensée, entre incrédulité, lassitude et sentiment de délivrance, d'un homme droit, mené au meurtre par les circonstances, le texte est d'une virtuosité confondante, chaque tournure renversante de justesse, d'originalité et de vraie beauté. Et c'est l'âme troublée, qu'à la fois dans la tête du prévenu et dans la peau de son juge, on l'observe tenter de tracer « la ligne droite des faits », en réalité « la somme des omissions et renoncements et choses inaccomplies » et « comme l'enchaînement de mauvaises réponses à un grand questionnaire » qui ont fait déraillé sa vie. A moins que le dénouement ne réserve quelque surprise… Coup de coeur.

Lien : https://leslecturesdecanneti..
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Une lecture originale, de celles que l'on qualifie quelquefois d'OVNI littéraire.
Plus une confession qu'un roman, il s'agit d'une expérience de lecture avant tout tant le parti pris narratif est quelque peu déroutant.
Nous savons dès le début que Martial Kermeur a assassiné Antoine Lazenec, aucun doute n'est permis et l'homme qui s'assoit dans le bureau du juge ne nie pas les faits, il vient d'être arrêté et doit répondre aux questions et notamment la première de toutes à savoir, pourquoi ?
Invité à s'expliquer, Martial Kermeur va entamer un long monologue, son histoire commence six ans plus tôt quand il rencontre pour la première fois Antoine Lazenec...
Six années disséquées qui vont mettre à jour un engrenage implacable, celui qui peut transformer une personne simple en meurtrier, un homme confiant, certains diront crédule, en un être aigri et poussé à bout par la dernière goutte qui fait déborder un vase qui ne demandait qu'à déborder.
Ce qui rend ce récit hypnotique c'est que Martial Kermeur n'est justement pas un être colérique assoiffé de vengeance, il est au contraire foncièrement paisible et voudra croire jusqu'au bout qu'il vit dans un mauvais rêve qui ne peut que s'arrêter à un moment ou à un autre.
Ce qui rend ce récit fascinant c'est cette effroyable logique qui peut faire basculer un destin avec une telle évidence, une histoire vécue mille fois par tant de gens avant lui.
Ce qui est amusant c'est qu'à un moment de ma lecture je me suis fait la réflexion que je lisais une variation d'une fable De La Fontaine, et en tournant la page je suis tombé précisément sur cette évocation.
Ce récit dégage une certaine force en ce sens qu'il aborde un sujet sensible, est-il légitime de se faire justice soi-même ?
Ce récit est captivant car nous nous retrouvons à notre insu dans la peau d'un juge sans que l'on sache à quel moment c'est arrivé.
Pour conclure, la fin est brillante et inattendue en même temps qu'elle nous instruit, bravo monsieur Tanguy Viel !
Je n'ai par contre pas été emballé par le style, trop dense à mon goût et surtout surchargé de métaphores.
Je pense que cette lecture est de celles qui suscitera autant de ressentis qu'il y aura de lecteurs car derrière son apparente banalité, cette histoire est de celles qui incitent à l'introspection.
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Dés qu'on évoque la Bretagne, je songe à des récits qui vous donnent le goût du large, bercés par une poésie fouettée d'air frais. le roman de Tanguy Viel n'est pas de ceux-là.
L'univers presque monochrome et la brume maussade qui recouvre les 170 pages ne laissent que très peu passer la lumière, sinon celle de l'écriture, d'une poésie à vous réconcilier avec la désolation et la lassitude.
Ainsi présenté, c'est un roman bien sombre et pesant. Mais Tanguy Viel a su me charmer en trouvant les mots pour raconter un bateau qui sombre, un pauvre gars amarré à presque rien qui a tangué au gré des défaites avant d'être heurté par la cupidité humaine.
La construction habile et les zones d'ombre pointées du doigt et laissées à plus tard participent sans conteste à la réussite du bouquin mais j'ai surtout été séduite par la voix unique de Kermeur en pleine confession dans le bureau du juge.
Durant ces heures incertaines où le destin se noue, on est face au juge, mais on est surtout face à soi-même, nu comme un ver, c'est là que tout ressort, l'authentique, les mots, ceux qu'on a gardé trop longtemps au fond de la gorge. C'est court mais c'est émouvant de lire un homme qui a toujours renoncé mettre beaucoup d'abnégation et de sincérité ingénue à se dévoiler.

A la croisée de l'intime et du social, ce roman dont on comprend la signification du titre dans les dernières lignes est une pépite. Tanguy Viel a travaillé son personnage comme un matériau noble, mettant l'humain en valeur, même dans ses faiblesses.
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« Il m'avait laissé seul à seul avec la parole, avec le désordre de la parole et mille pensées s'embouchant comme dans un entonnoir dont, peut-être, il essayait de comprendre les lois internes de sélection »

C'est ça, exactement ça, le dernier livre de Tanguy Viel : il nous laisse seul avec le désordre de la parole. La parole d'un homme.

Celle de Martial Kermeur, un rude finistérien, ancien ouvrier de l'arsenal de Brest qui a tout perdu dans une arnaque immobilière : sa femme, l'admiration de son fils, son vieil ami, sa prime de licenciement substantielle, sa propre estime de soi.

Martial Kermeur, un brave homme - un homme brave qui après tous les coups subis relève la tête, part en mer avec le responsable de tous ces malheurs et le tue.

Martial Kermeur, un meurtrier. Un meurtrier qui se livre sans détour à son juge. Martial Kermeur, un homme bouleversant.

Toute la puissance, toute la force du livre est dans cette parole libre, bousculée, anarchique, parfois labyrinthique.

Une parole qui dit la Bretagne désolée par le chômage et le gros temps, la Bretagne venteuse et maritime des pêcheurs de la presqu'île, la Bretagne des petites gens qui sont aussi de grandes âmes, la Bretagne des taiseux qui soudain se dénouent à coup de whisky, la Bretagne des hommes rudes soudain attendris par le regard d'un enfant, la silhouette d'une femme aimée, le désespoir d'un vieux copain.

On est capté, pétrifié par la justesse des images. Par cette remarque sur la rade de Brest : « on sent qu'on peut y perdre son âme, en tout cas qu'elle glisse sans mal dans les branches des arbres, dans le camaïeu de vert qui borde l'eau et les murets de pierre, qu'elle est prête à se perdre dans l'étendue plane et les dunes pierreuses qui hésitent où finir »

Ou par cette formule lapidaire : « En un sens, la rade, c'est l'océan moins l'océan ».

Par la qualité de l'observation : ainsi celle des mouettes, guetteuses insatiables de poubelles qui obligent les finistériens à dormir jusqu'à l'aube avec leurs ordures.

Par de rares moments d'ironie gouailleuse : « je pouvais voir sa voiture de sport qui brillait dans le soleil puisque oui, voyez, il y avait du soleil – il y a du soleil ici quelquefois »

Mais là où cette parole libre atteint des sommets c'est quand elle s'attarde sur la communication entre les êtres. Ainsi quand Kermeur évoque un dialogue plein de non-dits entre lui et son fils : « Dans le silence on partageait bien assez nos pensées, quand le langage lui-même est inutile, puisqu'il n'y a rien de plus à dire, rien de plus à comprendre, du moins si comprendre c'est faire une phrase qui justement s'articule et s'éclaire avec des « donc » et des « alors » , mais non, comprendre là-dedans, j'ai dit au juge, c'est plutôt ressentir profondément, là, oui, là, et alors j'ai mis le doigt non pas sur le coeur, non pas sur le front, mais sur l'estomac, là, en dessous du plexus, oui, là, comprendre, ça fait une douleur que les hommes je vous jure, connaissent depuis l'Antiquité, sans trop savoir jamais si ça brûle ou pique ou détruit ».

Je peux relire cent fois des phrases comme celle-ci : elles me terrassent par leur force, leur opiniâtreté, revenant, insistantes et modestes à la fois, frapper où ça fait mal et où ça sonne juste. Pas besoin de « donc » et de « alors » pour être convaincu, atteint, bouleversé.

L'autre force du récit est que le lecteur s'identifie au personnage quasi muet du juge, dont parfois Kermeur, reprenant haleine, transcrit les rares propos, note les gestes ou les réactions.

Comme le lecteur, l'homme de loi reçoit cette parole brute qui n'est jamais une parole de brute, il écoute et se fait son intime conviction- comme le lui recommande l'article 353 du code civil.

Un face à face extraordinaire, qui fait du lecteur un juge en puissance. Une immersion dans la langue, le coeur, la pensée le « là » -coup sous le plexus- d'un homme, d'un homme brave, d'un homme vrai.

Un tour de force. Un très grand livre !






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Attendu que, lors d'une partie de pêche en mer l'accusé Martial Kermeur passa malencontreusement par-dessus bord le dénommé Antoine Lazenec, promoteur véreux de son état,
Attendu que le macchabée du susnommé Lazenec se trouva dûment restitué par l'océan quelques jours plus tard,
Attendu que l'ami lecteur est en droit de se demander ce que les individus précités pouvaient bien faire dans cette galère,
Le désigné Martial Kermeur est déféré ce jour devant le juge et sommé de revenir sur les circonstances précises des faits qui lui sont reprochés.

Ainsi donc voici le témoignage de Kermeur.
Face au magistrat tout ouïe, il conte les années poignantes qui précédèrent le drame. Les petites misères, les regrets, les espoirs, et la vie qui lentement bascule.

Son récit sincère et désespérément lucide sonne comme une confidence rédemptrice où, sous la plume dense et précise de Tanguy Viel, la parole se structure, s'émancipe, et défile sans trêve comme le ressac ininterrompu de l'océan qui forgea l'existence de cet homme meurtri.

Il faudra patienter jusqu'à l'épilogue inattendu de ce huis clos judiciaire pour en comprendre le titre insolite et si peu romanesque. « Article 353 du code pénal » est bien un roman pourtant, un roman fort, un roman social et intime sur fond de déclin économique et d'escroquerie porteuse d'espoir.

« Je me demande si mon livre n'accomplit pas un fantasme collectif ! »
Sur ce point aussi je vous donne raison Monsieur Viel, mais libre à chacun d'en juger… selon son intime conviction.
Ceux qui ont lu comprendront.


Lien : http://minimalyks.tumblr.com/
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