Même si peu interessé par le politicien (mais que diable allait-il faire dans cette galère !!), le personnage de
Cédric Villani m'a toujours paru intriguant avec son look d'un autre siècle (lavallière, veste en velours bleues, araignées d'orfèvre géantes à la boutonnière) et son ton douçâtre. Alors quand j'ai vu qu'il avait publié ce roman qui est en fait un journal, une décomposition méthodique des étapes inhérentes à un travail de recherche mathématique, la curiosité de le lire était très forte. Pourtant ce n'est que presque dix ans plus tard que je m'y suis attelé.
Qu'en dire ? Difficile d'avoir un avis tranché sur ce livre. Lu avec la volonté de découvrir le mathématicien, l'homme, derrière l'image médiatique, ce livre satisfait plutôt cet objectif.
L'auteur a parfaitement identifié les deux individus vivant en lui : l'homme et le mathématicien. Ce dernier est obnubilé par son sujet de recherche, alors que le premier est un mari, père de famille, se devant à eux autant que l'autre à son Problème. Oui car Villani personnalise son sujet, son Problème (un peu comme Sherlock Holmes avait son Final Problem), avec lequel il se réveille, mange, dort… Ce chercheur passe son temps à travailler, à échanger des mails avec son assistant, à discuter de problèmes directement ou indirectement lié à son sujet avec d'autres chercheurs, à faire des hypothèses, à triturer ses équations dans sa tête, à remplir des pages et des pages de brouillons. On dénote chez cet esprit scientifique, un certain ego, pas forcément démesuré, mais dison qu'il sait ce qu'il est. On entrevoit un peu avec lui le caractère de celui qui n'hésitera pas à envoyer paître ces anciens collègues marcheurs pour marcher de son côté vers la mairie de Paris. Par orgueil, sûrement, mais aussi parce qu'il a toujours “senti” où il devait aller, a priori
non par opportunisme mais par goût du challenge. On peut le voir à travers ses choix de carrière et comment il les justifie (on ne peut même pas parler de justification car tous ces choix ont été sans remord). Finalement on distingue (un peu loin mais quand même) le politicien derrière le mathématicien.
L'homme de famille lui, est presque simple. Bon le cadre de vie n'est pas des plus populaires, ce petit monde scientifique d'élite vit plutôt bien, un peu partout dans le monde, généralement aux frais des instituts qui les recrutent (instituts tout confort avec golf et services en tous genres…). Mais ce n'est pas tant par luxe que pour n'avoir rien d'autre à faire que réfléchir (bon d'accord c'est bien une forme de luxe !). Et lors des (nombreuses) sessions de réflexion décrites par l'auteur, chaque fois il digresse en toute simplicité vers ses souvenirs et à travers eux ses goûts. Et on quelque peu surpris qu'un génie de cette trempe soit finalement un grand ado comme beaucoup d'entre nous, fan de pop culture (
Neil Gaiman, mangas divers de BlackJack à
Death Note), de musique tout aussi populaire (un beau passage à noté sur Catherine Ribeiro, une anecdote sur un concert des
Têtes Raides, si, si !…). Bo
n on se rassure c'est aussi un grand amateur de musique classique et il a été lui-même formé à la musique (ouf quand même un cliché !)
Bref ça n'a rien de renversant mais ça rend le personnage un peu attachant. Et c'est la partie (à mon avis) la plus intéressante du livre. L'autre partie (totalement intriquée narrativement avec la première) n'est pas moins intéressante, en tous cas elle ne devrait pas l'être, bien au contraire, mais son traitement est raté (là encore à mon sens). En effet, la trame principale de ce livre est basée sur les presque deux ans de recherche passé par Villani et Clément Mouhot (après tout, vu le travail qu'a fourni ce dernier, il mérite tout autant d'être cité). Et ce qui pourrait être traité comme une intrigue policière palpitante faite de rebondissements (et il y en a un paquet de rebondissement sur ces deux ans) et presque transformer ce livre en page-turner… et bien ça fait pschittt vila(n)inement (désolé !). La raison ? Villani ne descend jamais à notre niveau mathématique et physique. Aucune vulgarisation des problèmes qu'il essaie de traiter (ou alors par des comparaisons finalement assez peu parlantes), aucune explication sur les objets qu'il manipule. Même avec mon niveau master en maths je passe totalement à côté de ce qu'il décrit. Résutat ? Des pages entières zappées de morceaux de démonstrations, avec des successions d'équations et d'inéquations, pleines de normes, de lettre grecques, d'exponentielles, de valeurs absolues, d'ensembles… Brefs des pages totalement absconses pour le commun des lecteurs. Et c'est dommage, il y avait là une belle occasion de ramener les maths dans la culture quotidienne, à l'image d'un
Etienne Klein par exemple qui serait capable d'expliquer la théorie quantique à un enfant de 5 ans : certes l'enfant ne démontrera pas la théorie de la relativité à 6, mais dans la mesure où ce n'est plus un objet lointain et totalement inexpliqué pour lui, il sera peut être intéressé bien plus tard à suivre des études en la matière… ou pas ! Bref je m'éloigne, mais tout ça pour dire qu'en se faisant plaisir (il expose des pages entières de sa démonstration) sans jamais expliciter ou illustrer son propos, Villani fait en sorte que près de la moitié de son livre sera
non lu par toute personne ne faisant pas partie du cercle fermé des mathématiciens de haut niveau.
Et c'est dommage parce qu'au demeurant il y quelques pages assez sympathiques, notamment, et c'est le seul élément qu'on puisse porter à son crédit en termes de pédagogie, des portraits de nombreux mathématiciens connus ou
non, pleines d'anecdotes et qu'on sent empreintes d'un grand respect pour ces hommes et leurs travaux.
Donc à vous de voir. Si vous n'avez pas d'a priori sur un livre dont vous pouvez “brûler” quelques pages alors allez-y. Vous apprendrez de toutes façons des choses, mais pas autant que ce qu'on pouvait espérer.