Dans ce « livre-témoignage », l'auteure a choisi, pour parler de la façon très diverse dont les femmes peuvent vivre un avortement, et des raisons tout aussi diverses qu'elles ont d'y avoir recours, d'entrecouper les chapitres racontant son histoire à elle (marquée par deux avortements et une grossesse désirée) de courts récits que lui ont fait des femmes sur leur avortement. Elles ont aujourd'hui dix-sept, vingt-huit, trente-cinq, quarante-cinq, soixante, quatre-vingt-dix ans... Elles ont avorté à seize, vingt, vingt-cinq, trente, trente-sept, quarante-deux ans... C'était dans les années 70, 80, 90, 2000, 2010... Elles étaient à ce moment-là sous pilule, sous stérilet ou sans contraception, athées ou croyantes, célibataires endurcies ou mariées et déjà mères de plusieurs enfants... Elles n'ont pas douté un seul instant de leur désir d'avorter, elles ont hésité, elles voulaient cet enfant et un concours de circonstances défavorables les a fait changer d'avis, ou bien elles s'y sont senties obligées par égard pour l'enfant lui-même, pour un précédent enfant né très peu de temps avant, pour leur couple ou leurs études...
Bref, des profils extrêmement variés. S. Vizzavona a recueilli le récit de chacune d'elles, le long de quelques lignes à quelques pages (la plupart font au moins une page). Elle cite à chaque fois les paroles mêmes de la femme (elle s'était armée d'un dictaphone pour conduire les entretiens), ou bien les reformule, après s'être assurée auprès de l'intéressée qu'elle se reconnaissait dans cette synthèse et que cette dernière ne trahissait pas, involontairement, sa pensée.
Surtout, elle s'est toujours efforcée de ne jamais porter de jugement, quel qu'il soit, sur ce qui lui était dit et les situations ou sentiments qui lui étaient racontés. C'est apparent tout au long du livre, et elle le rappelle dans sa conclusion : « Ce livre va être publié, et mon éditrice me demande d'écrire une conclusion, mais je n'y arrive pas.
Je ne souhaite y tenir qu'un seul propos : la parole autour de l'avortement doit être libre et accessible pour déculpabiliser les femmes et renforcer un droit qui ne pourra jamais être acquis tant que la société exigera de celles qui l'exercent qu'elles s'en repentent. Depuis le début de ce travail, je me refuse donc à la moindre opinion sur tout ce que j'entends. Je n'ai rien à en dire. Je m'efforce de n'être qu'une passeuse de mots et d'émotions. »
C'était sa règle de travail principale, pour ne pas dire unique. Et c'est là-dedans que réside la force de cet ouvrage, indubitablement. J'avoue que j'ai pu m'attendre à ce que, sur un tel sujet, le texte soit gâché par du militantisme intempestif et déplacé ou des positions agressives et à l'emporte-pièce – mais il n'en est rien. Au contraire : certains témoignages, certes très minoritaires, mettent en garde contre la tendance que peuvent avoir certains à partir du principe qu'une femme confrontée à une grossesse imprévue désire forcément avorter. Ainsi, le témoignage de Rachel m'a serré le coeur (j'en ai publié la majeure partie, dans les citations de ce livre).
Écouter des femmes parler avec sensibilité d'un moment de leur vie, témoigner de ce qu'elles ont vécu, c'est tout ce que propose «
Interruption ». Au lecteur, ensuite, s'il le souhaite, de se faire sa propre opinion.
Un livre qui se lit très rapidement et facilement, qui émeut et contraint à abandonner ses préjugés – et, à l'instar de l'auteure, suspendre son jugement.