S'il y a bien une chose dont l'artiste doit se garder scrupuleusement dans son travail, c'est l'hésitation. L'hésitation mène tout droit à la faiblesse, et la faiblesse a fait échouer de plus grands desseins que les nôtres.
La rareté de l'objet dépend du désir qui anime le coeur qui le recherche.
Je ne désirerai jamais un amant plus que je ne désire la liberté.
-Après tout, mon opinion n'a rien de choquant. Cela concerne votre... votre sexe et les arts. À mon avis, Mademoiselle Lilly, il y a quelque chose qui manque à votre sexe.
-Quoi donc, Monsieur Rivers ?
[...]
-La liberté dont dispose le mien.
-Un livre ne dure-t-il pas tout autant ?
-Autant que durent les mots, oui. Mais il y a dans une photographie quelque chose qui dépasse les mots, qui dépasse même les bouches qui les prononcent. Une photographie mettra le feu aux sens d'un Anglais, d'un Français, d'un Hottentot. Elle nous survivra à tous pour allumer le même feu chez nos petits-fils. Elle est un objet transcendant à l'histoire.
-Un objet englué dans l'histoire ! proteste mon oncle. Perverti par l'histoire qui l'offusque comme un écran de fumée ! Cela se voit à la façon dont une mule épouse le pied, à la coupe d'une robe, au style d'une coiffure. Donnez des photographies à votre petit-fils: il y verra une curiosité pittoresque. Votre moustache cirée le fera rire ! Mais les mots, Hawtrey, les mots - hein ? Ils nous séduisent dans le noir, et l'esprit de chacun les revêt de chair et d'habits à sa guise.
En général, le murmure ne sied guère à l'organe masculin - la voix de la plupart des hommes se fausse, détonne, résiste mal à l'envie de sonner plus fort - la sienne cependant sait se mettre une sourdine, jouer des mots couverts, tout en conservant sa limpidité, telle une note de musique.
A ma manière, je suis un gredin, et il n'y a personne que je comprenne aussi bien que mes semblables. Votre oncle en est, et de la pire espèce, car sa gredinerie est confinée au cadre domestique, où elle passe pour un caprice de vieillard. Ne dîtes pas que vous l'aimez, ajoute-t-il rapidement en me voyant prête à parler. Ne vous souciez pas des bienséances. Vous êtes au dessus de tout cela, je le sais. C'est pourquoi je me suis permis de me présenter ainsi chez vous. Vous et moi, nous nous dictons nos propres lois, nous ne respectons celles des autres que dans la mesure où cela nous arrange.
Il y a trop de nouveaux livres qui paraissent et qu'il faut ajouter aux anciens, trop de livres perdus à redécouvrir, trop d'incertitude partout.
Enfin je la vois, une faible lumière dans le brouillard, une simple lueur plutôt, que l'allure du cheval et les arbres qui bordent la route font clignoter comme un signal d'alarme. Je la regarde venir, la main sur mon cœur. La lumière approche - ralentit, perd son halo, s'affaiblit - et je distingue d'abord le cheval, puis la carriole avec William et une silhouette plus vague. Ils contournent la maison. Je me précipite dans la chambre d'Agnès - maintenant elle sera celle du Susan - et me poste à la fenêtre. La voilà, enfin.
La fortune est aveugle et emprunte des chemins étranges. C'est la fortune - n'est-ce pas ? - qui envoya Hélène de Troie chez les Grecs et un prince à la Belle au bois dormant.