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A lire le mot Hurlevent sur la couverture, on devine un roman d'atmosphère, un souffle, déjà les images se bousculent, les références. Je n'ai lu que très récemment le roman d'Emily Brontë, les sensations sont encore fraîches si nécessaire. Je ne sais à quoi m'attendre, je ne connais pas l'univers de l'autrice. Il suffit de quelques pages pour révéler une atmosphère intrigante. Une maison de bord de mer près de Lorient, un homme vient dans l'espoir d'y trouver des réponses. Ici vit Lucie Ancel, psychiatre, avec sa jeune fille et sa soeur Louise. Quelques phrases échangées, des questions sur un événement survenu trois ans auparavant, un prénom murmuré - Hector - et le souvenir d'un lieu - la colline de Hurlevent... Remontons le temps.

L'autrice nous emporte dans une exploration des ombres où les non-dits ont autant d'importance que les mots. Rien n'est totalement ancré, le lecteur a sans arrêt la sensation de ne pas avoir tous les éléments ou seulement des bribes. Lucie Ancel a connu Hector Wolpe lorsqu'il avait treize ans et passait d'institutions en institutions. Jeune diplômée elle effectuait un stage à Saint-Maurice où séjournait Hector parmi d'autres patients. Lorsqu'elle le croise quinze ans plus tard, une sorte de fascination s'installe, l'envie de creuser ce qui lui a échappé à l'époque, la présence du jeune homme l'intrigue et elle se met à investiguer sur ses liens familiaux marqués par une proximité avec les lieux où vécut la famille Brontë. Jusqu'à se rendre sur leurs traces dans le Yorkshire et s'imprégner de la curieuse obsession nourrie par le père d'Hector pour les Brontë et leur oeuvre, où se trouve peut-être la clé de la personnalité tourmentée du jeune homme. Mais la quête est aussi étrange que les vérités attendues, comme je l'écrivais plus haut rien n'est ancré, tout questionne dans le comportement de Lucie, dans ses propres relations familiales, dans ses interprétations sans cesse revisitées. Tout questionne dans la relation qu'entretient chacun à la fiction. La folie couve, partout sous-jacente.

Fascinant roman dont on se surprend à ne pas attendre de destination tant on savoure le voyage, mené sur un fil ténu où tout est sujet à interprétation. L'écriture élégante et habile sculpte le pouvoir magnétique de ce texte, qui s'empare de l'esprit du lecteur même au repos, le préparant à la révélation, malgré tout, et à ses risques et périls. Captivant et profondément littéraire.
Lien : http://www.motspourmots.fr/2..
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C'est un très beau roman, très fort, au rythme haletant, comme une course éperdue sur la lande, une quête tragique, de maison en maison, de paysage en paysage, ville, mer, campagne anglaise - et de génération en génération. le fil de l'histoire, mais aussi les liens entre les soeurs Ancel, entre Hector et son père (ce père-monolithe, fou d'être passé à côté de sa propre ambition et de sa vie) , est tout le temps tendu. L'itinéraire d'Hector, de Louise, de Graeme Wolpe, du Dr Lucie Ancel est tourmenté mais la narration avance en ligne droite. Quant au Yorkshire et aux enfants Brontë, l'obsession de Graeme Wolpe pour la célèbre famille est plus que palpable mais jamais trop envahissante, elle ajoute en vérité une dimension peu commune au mystère des êtres que nous décrit, de manière hypnotique, l'auteure.
Merci à mon libraire versaillais pour cette pépite!
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Un récit d'une étrange douceur fusionnant d'intensités où l'on s'immerge comme par enchantement.
L'histoire relate l'histoire de Lucie Ancel, psychiatre, retrouvant à un concert parisien, des années après l'avoir eu comme très jeune patient, Hector. Les retrouvailles sont troublantes d'autant que l'emprise que le jeune homme devenu adulte séduit la jeune soeur de Lucie. L'inquiétude de Lucie Ancel va la mener à revisiter son passé, au moment où elle était stagiaire dans l'institution où elle soignait le jeune garçon. Que s'est-il joué à ce moment-là entre eux? Que lui a-t-elle promis qu'elle aurait oublié, ou désiré oublier? L'inquiétude, moteur des décisions de Lucie, provoquera son départ vers l'Angleterre où elle va tenter de renouer avec la famille anglaise d'Hector qu'elle devra affronter, non sans violences, jusque dans le Yorkshire.
Ce livre, très intimiste, est un questionnement sur ce qui fonde un univers familial. D'un fils qui a répondu autrefois à la folie d'un père, hanté par la vie et le génie des enfants Brontë. A chaque chapitre, le danger rôde, la vie de chacun des personnages exerçant sur l'autre une attraction irrepréssible, en même temps qu'un précipice au bord duquel le passé qui semblait le plus enfoui peut vous absorber brutalement. Comme si l'amour était d'abord l'histoire d'une répétition d'un souvenir d'enfance qui ne cessait de rebondir jusqu'à ce que les corps se serrent une dernière fois.
Dans la lande anglaise la chaleur de l'été brille sur les corps, comme sur les ruines de Hurlevent.
Un livre captivant, sur le pouvoir de la littérature, et peut-être son corollaire: le déséquilibre qu'elle a aussi le pouvoir de déclencher à notre insu.
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Lucie Ancel est psychiatre à Paris, où elle vit avec sa soeur cadette (Louise) et sa fillette (Pia) dont elle partage la garde alternée avec le père de l'enfant. Louise est enseignante. Très fusionnelle avec sa soeur et sa nièce. de son côté, Lucie aimerait bien la voir prendre enfin son envol …

Hector Wolpe est anglais. Il a passé la plus grande partie de son enfance en institution psychiatrique. A York (Angleterre) de sept à treize ans puis en France (le pays d'origine de sa mère) à partir de treize ans (plus exactement à Saint-Maurice) où il fut le jeune patient de Lucie, en 2001 …

Quinze années plus tard (en 2016) Lucie (et sa soeur Louise, qui n'est pas indifférente aux charmes du jeune homme …) vont recroiser son chemin. Lucie se souvient alors de cette enfance « énigmatique » décrite en partie par Hector, au cours de laquelle son père (Graeme) semblait totalement obsédé par la jeunesse des enfants Brontë, et plus particulièrement par le roman d'Emily (« Les Hauts de Hurlevent »)

Entre Paris, Trévéan (Bretagne) et York, Laurence Werner David nous entraine sur le passé de son ancien patient (qui l'attire autant que sa soeur peut-l'être …) et sur le présent de son père, marié à Anne (elle-même mère du petit Samuel …)

Un mélange (savamment pesé) d'intrigue moderne et classique, partageant la scène avec l'univers « mythique » de la famille Brontë – mais également de tous les protagonistes du sublime roman d'Emily – l'oeuvre la plus sombre des célèbres soeurs-écrivaines …

C'est bien écrit et plutôt distrayant, plutôt inattendu … Seulement voilà : ce roman « culte »  – qui ne souffre surtout pas la comparaison – est mon livre de chevet depuis 55 ans et je lui voue une véritable passion !

Le résultat est relativement agréable à lire – pour qui n'éprouve pas la même vénération que moi-même – à l'égard du Chef-d'oeuvre d'Emily Brontë. le titre, évidemment, piquait ma curiosité et il me fallait le lire, coûte que coûte, quand bien même je me doutais que je serais probablement un petit peu déçue … Donc pas de surprise à l'arrivée : je n'ai pas été transportée par ce récit – qui plaira certainement beaucoup – à tous les non-amoureux du remarquable, du merveilleux, du fantastique « Hauts de Hurlevent »
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Poursuite de cette étrangeté de l'absence, d'une trouble fascination pour la famille Brontë, pour leur enfance comme enfermement dans leur récit d'un Grand Jeu, par une psychiatre dont on entend, en creux, les hantises. Dans une prose pleine de mystère, comme en attente derrière l'insuffisante simplicité de ce qu'elle raconte, dans son trouble et sa tension, Laurence Werner David nous plonge dans le perpétuel transfert de la fascination, face à cette contondante intensité du vécu à laquelle nous ne serions nous soustraire. Quitter Hurlevent est un récit hanté, plein de projections, de désir comme pour mieux en explorer, toujours avec cette douceur de l'absence de jugement, les failles et obscurités.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Je crois être passé à côté "Quitter Hurlevent" ou plutôt je crois m'en être lassée en cours de lecture. Il m'en reste une impression un peu poisseuse de déception, de brouillard. Je le regrette d'autant plus que j'aurai vraiment voulu aimer ce roman et ses mystères, ce roman aux profondeurs un peu insondables.

Bien sûr que ce qui m'a attiré vers le roman de Laurence Werner David fut la mention de "Hurlevent" dans son titre et sa quatrième de couverture faisant mention de la fascination exercée par la famille Brontë sur un homme étrange et ténébreux confinant à une folie destructrice et à la douleur d'enfants sacrifiés sur l'autel de ladite fascination.
De fait, je dois confesser que comme Graeme et Hector, les Brontë m'ont toujours fascinée (d'une manière bien plus saine que pour ce dernier cela dit) et que les thèmes de la névrose voire de la folie m'attirent toujours, en littérature comme au cinéma.
Je ne pouvais forcement qu'être happée par ce roman et c'est aussi peut-être en raison de cette attirance que je suis déçue par ma lecture. Trop d'attentes.

"Quitter Hurlevent" s'ouvre sur un prologue bien énigmatique dans lequel un narrateur tout aussi mystérieux se rend à Trévéan, village de Bretagne en bord d'océan. Une longère face à la mer l'attend. Il vient y retrouver une jeune femme qui a une histoire à lui raconter...
Le récit opère ensuite un retour en arrière de trois ans et nous mène à Paris. Lucie Ancel est psychiatre. Elle vit avec Pia, sa fille et Louise, sa petite soeur dont on sent les fêlures, les tourments et la soif d'absolu autant que l'amour de la musique et du romantisme noir des groupes de rock à la Depeche Mode. Un soir que les soeurs Ancel sortent dans l'une de ces petites salles parisiennes où des groupes underground illuminent les scènes, elles rencontrent un groupe de jeunes hommes au centre duquel Lucie reconnaît Hector... Hector qui fut son patient autrefois, alors qu'elle était stagiaire dans un centre psychiatrique réservé aux adolescents. Hector qui était en ce temps là -parfois quinze ans sont une éternité- un tout jeune homme étrange et magnétique avec lequel Lucie avait tissé un lien étrange, indescriptible jusqu'à son départ du centre.
L'adolescent dont la mère était française venait d'Angleterre, pays de son père avait en lui quelque chose de fascinant malgré (grâce à?) ses névroses, ses silences, ses troubles, ses secrets...
Le retour d'Hector dans la vie de Lucie provoque chez elle un bouleversement, chez Louise aussi qui croit trouver en le jeune homme la réponse à sa soif d'absolu et de passion et met à mal la relation entre les deux soeurs qu'on sent complexe, pétrie de non-dits... Finalement, Lucie succombe à nouveau à sa fascination envers son ancien patient et se replonge dans ses notes de l'époque, remonte le fil, enquête à nouveau sur cet homme dont le père, fasciné par la famille Brontë, élevait Hector et sa soeur (la grande absente du roman, à ma toute aussi grande frustration) dans le culte de la célèbre famille de Hayworth, leur faisant rejouer leur vie, allant même jusqu'à leur offrir des ersatz de soldats de plomb afin de leur insuffler un peu de la créativité qui fit naître les mondes de Gondal et d'Angria, allant même jusqu'à les enfermer dans ce qu'Hector décrit comme une tour...
Relation toxique, relation d'emprise. Fascination confinant à la névrose pour l'art, l'absolu, la passion.
Lucie, inquiète et hantée, décide finalement de se rendre à York pour comprendre Hector, remonter les ramifications de cette étrange histoire familiale. Pour se trouver elle-même aussi un peu sans doute, pour interroger, semble t-il, son propre rapport à la famille, à l'amour.

"Quitter Hurlevent " est un roman de silences et de non-dits, écrit de telle manière que la lectrice que je fus a senti sans cesse que tout lui échappait, comme l'eau que l'on recueille dans son poing serré et qui s'en échappe pourtant... Que rien n'était vraiment ancrée... Que je ne possédais que des bribes de cette étrange histoire déployée en clair-obscur et j'ai adoré cela, au moins durant la première partie du roman qui met en place les relations des personnages entre eux... Je m'en suis trouvée lassée dans la seconde partie qui se déroule à York que j'ai trouvé fort longue et dans laquelle j'avoue m'être ennuyée... Comme si tout le mystère n'était finalement qu'un leurre, un effet... Et puis, j'ai trouvé très accessoire aussi finalement l'apport de la fratrie Brontë à l'histoire (qui n'apporte honnêtement pas grand chose selon moi...) somme toute trop évaporée pour moi... Je le regrette d'autant plus que je suis entrée dans le roman résolue à m'y couler, fascinée moi aussi par Hector, par Louise (surtout elle!) et Lucie, par la complexité qu'on sent dans chacune de ces relations...

Mais trop de brumes, trop d'éther pour moi dans ce roman au dénouement déceptif, qui semble ne vouloir donner aucune réponse, presque trop libre d'interprétation... Trop d'effet, de poudre aux yeux aussi, ... Même le titre me paraît un peu outrancier finalement.
Pour autant, je salue l'élégance de l'écriture et la réflexion menée par l'auteure concernant le pouvoir magnétique de la fiction, jusqu'à la névrose tout comme celle concernant le poids, parfois, des liens familiaux qui se nouent autant dans les conversations que les secrets que l'on tait, les choses que l'on cache. Hélas, ça ne m'a pas suffi... Loin de là.





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Une langue hypnotique, des personnages qui nous accompagnent longtemps, une quête des origines prise dans l'histoire d'un père littéralement construit à partir du fantasme de ce qu'on pu représenter pour lui le génie des jeunes enfants Brontë. Sa volonté de transmettre sa passion à ses propres très jeunes enfants. L'insidieuse folie qui va en découler...
C'est aussi , il m'a semblé, une réflexion sur ce qu'est la passion amoureuse aujourd'hui; ce qu'il reste, in extremis, d'un romantisme noir, de l'amour à mort, à l'heure de l'ultra communication et des entraves (salvatrices?) à ce qui fait lien exclusif entre les êtres humains.
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J'ai apprécié la lecture de ce roman pour ses références au roman d'Emily Brontë et à la vie de la fratrie Brontë. Je connais très bien leurs biographies ainsi que le roman Hurlevent. J'ai donc pris ce roman comme une interprétation littéraire de l'oeuvre d'Emily Brontë et j'ai trouvé plaisant les similitudes, les écarts, la réflexion sur l'influence de la littérature sur la vie…
Les aspects principaux du roman originel sont respectés : narration multiple, violences intrafamiliales, problèmes d'identité… J'aurais tout de même voulu en savoir plus sur la docteure Ancel qui tout en étant plus proche est tout aussi mystérieuse que la Nelly de Hurlevent.
Je pense que pour les lecteurs ignorant du roman d'Emily Brontë, ce roman présente moins d'intérêt, à part de leur donner envie de lire le Hurlevent original.
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Dans Quitter Hurlevent, Laurence Werner David s'écarte de la vision conventionnelle de la littérature comme source d'émancipation pour révéler son côté obscur, en tissant une histoire marquée par l'influence trouble de la famille Brontë. Un roman qui explore avec audace les liens familiaux, qui libèrent autant qu'ils emprisonnent, posant un regard neuf sur le pouvoir complexe de la fiction dans nos vies.

Ces dernières années ont vu fleurir, à l'instar du Réparer le monde d'Alexandre Gefen, et sans qu'il s'agisse d'une nouveauté, des éloges de la littérature salvatrice et émancipatrice. Laurence Werner David a la hardiesse de se situer à contre-courant de cette tendance dans Quitter Hurlevent, son sixième roman.
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Elle y montre en effet la possible toxicité de la littérature en racontant une histoire trouble de famille placée sous l'ascendant nocif du roman le plus célèbre de la fratrie Brontë, celui d'Emily, Les Hauts de Hurlevent.

Laurence Werner David s'intéresse aux liens, ceux qui unissent, mais aussi enchaînent et même fusionnent, et donc détruisent dans cette confusion, les êtres que sont ses personnages. Dans À mes yeux (2017), paru comme ses prédécesseurs dans la regrettée collection « Qui vive » des éditions Buchet-Chastel, un père s'immisce dans le cercle des amis de son fils dont il a perdu la trace depuis trop longtemps. À la surface de l'été (2013) était déjà aussi une réflexion sur la filiation et son négatif, l'abandon. Dans le roman de Thomas Lilienstein (2011), la compagne de Thomas tâche de remplir le vide qu'il laisse pendant ses trop fréquentes et trop longues absences en reconstituant le lien qui attache prodigieusement et maladivement cet homme qu'elle aime à sa mère puissante.

À ce rappel des précédents écrits de l'auteur, on voit que Quitter Hurlevent s'insère comme une variation supplémentaire dans une oeuvre qui se compose sur une même obsession, le lien et ce qu'il suppose de transmission et de rupture, au sein d'une entité dont le noyau est la famille, mais une famille elle-même poreuse à toutes les rencontres, les immiscions, les pénétrations, les déformations, les influences.

Lucie Ancel, la narratrice, est psychiatre et, accompagnant un soir sa jeune soeur à un concert, elle retrouve Hector, qui a été son patient à peine adolescent lorsqu'elle effectuait son premier stage en institution spécialisée quinze ans auparavant et avec lequel elle avait tissé, selon la formule consacrée, des liens privilégiés. Peut-être parce que sa soeur tombe amoureuse, ou sous le charme, ou l'emprise, d'Hector, peut-être parce qu'elle-même retrouve la fascination qu'il avait exercée sur elle cet été de leur première rencontre, elle renoue avec son histoire, se replongeant dans son ancien dossier, ouvrant le cold case de ses névroses et du même coup les blessures de l'enfance, enquêtant, y pénétrant de Paris jusqu'à York en Angleterre, pour remonter à leur sources tout en espérant y retrouver le jeune homme qui a disparu brutalement.

Dans la maison familiale de Tanner street, elle fera la connaissance de Anne, la nouvelle compagne du père d'Hector et de sa soeur Adèle, mère d'un nouvel enfant, un garçon prénommé Sam. Elle se confrontera enfin à Graeme, ce père dont la malignité est d'être obsédé par la famille Brontë, dont il faisait rejouer les jeux à ses enfants dans une tour aménagée à l'imitation de celle du presbystère de Haworth, avant de s'en voir retirer la garde. Ce père que l'on peut dire hanté par la création, lui qui n'a jamais été qu'un simple jardinier puis un employé des chemins de fer.

Mais comment recréer à deux seulement, Hector et Adèle, le Grand Jeu des enfants Brontë, qui étaient quatre, Anne, Emily, Charlotte et leur frère Branwell, ou leur projection fictionnelle de Hurlevent, Catherine, Hindley, Heathcliff, Linton et sa soeur Isabelle ? le compte n'y est jamais. Peu importe, car c'est le propre de l'invention de Laurence Werner David de ne pas enfermer ses personnages ni ses desseins dans des cases. Elle brouille au contraire les repères, pose la perméabilité des frontières, la liquéfaction de ce qui devrait délimiter et distinguer, protéger moins de la pénétration d'éléments exogènes que du désordre internes des structures, ici familiales.

Ainsi, les Hurlevents semblent moins déteindre seulement sur le trio originel de la famille Wolpe, Graeme, Hector et Adèle qu'également sur les adjonctions que personnifient Lucie Ancel et sa soeur Louise afin de reconstituer la forme de la fratrie Brontë, trois filles, un fils, à laquelle vient se superposer inexactement celle des héros de la fiction anglaise : Hector pourrait être Heathcliff et Niels, son ami d'enfance Hindley, tandis qu'à la génération suivante correspondraient Pia, la fille de Lucie, et Sam, le dernier né Wolpe. de toute façon, ça ne colle pas, ça ne peut pas coller, et c'est précisément au gré de cet écart, de ce jeu, que le trouble et le malaise se glissent, gagnent et rongent.

Les familles, sables mouvants. Au fur et à mesure de la lecture, des hypothèses s'échafaudent, une à une réduites, éclipsées par d'autres, s'affaissant aussi bien, puisqu'elles reposent sur des fondations molles et fragiles. On s'attend à découvrir un père coupable, mais la présomption de son emprise est déjouée par le fait qu'il est finalement très peu présent dans la vie de ses enfants. D'autres gouffres sont ouverts, dont la béance même s'avère, pour la compréhension de la névrose, déceptive : la mère disparue, mais pas tout à fait ; Adèle, la petite soeur, dont on ne sait rien jusqu'à un point très avancé du roman, au sujet de laquelle on pressent le pire.

Le récit désamorce une à une les tentatives de résolutions que lui fantasme le lecteur, laissant au-delà de la fin des trous d'ombre. Que s'est-il véritablement passé dans cette tour des histoires entre le père, Don Quichotte anglais et gothique, et ses enfants ? Entre le frère et la soeur abandonnés à leur sort quand leur père devait partir travailler ? Faut-il écouter la suggestion du texte qui rappelle que dans le Grand Jeu des Brontë, une des soeurs et le frère n'étaient pas frère et soeur mais bien mari et femme ? N'est-ce pas le spectre de l'inceste qui plane sur cette maison ?

Cet inceste, Laurence Werner-David a la subtilité de n'en suggérer jusqu'à la fin qu'une version figurée, la création partagée de mondes et de textes, d'univers et de poèmes consanguins, tout en en déployant d'une famille à l'autre comme une ombre portée. En effet, l'arrangement familial fusionnel des Ancel peut également se lire comme une violation des places de chacun, à l'image de cette petite soeur qui vit chez son aînée, substitut maternel, à l'image de son habitude de passer sous ce toit de chambre en chambre et de lit en lit, de remplacer la mère éloignée auprès de sa nièce, et même, du moins localement, auprès du père de cette dernière, dont Lucie est pourtant séparée. Qui plus est, Louise se livre avec Pia à la même activité de création que les enfants Brontë ou les enfants Wolpe : reconstitution par collage de la ville de York, récit d'aventures élaborés à deux. Loisirs enfantins banals sans doute, mais quand un adulte ne s'en mêle pas.

Décidément, dans cette famille comme dans l'autre, quelque chose ne tourne pas carré. Deux autres éléments de ce désordre, de preuve et à charge, viendront, plus âpres, plus profonds, plus organiques, pour hâter le dénouement, forçant à se demander en retour ce qui s'est véritablement passé cet été-là dans l'institut spécialisé Saint-Maurice, et ce qui se noue, plus généralement, entre un psychiatre et son patient, quels enchevêtrements, quels destins entrelacés. Destins : comme la présence d'un Prologue l'indique, on est aussi dans une tragédie grecque. Magma mythologique : une Phèdre inversée doublée de l'ombre d'Andromaque.

La prouesse du texte de Laurence Werner David est d'épaissir sans cesse ce mystère sans jamais lui faire perdre en même temps sa clarté. En effet, à la confusion des personnages et de leurs relations s'oppose la langue dans laquelle leur histoire est racontée. Celle-ci est d'ailleurs souvent la leur puisque la narration à la première personne, séquencée et datée, évoque une écriture diariste, qui elle-même accueille à la fois les notes du dossier de l'ancien patient que fut Hector Wolpe, des écrits de sa plume, et des considérations sur les Brontë consignées par le docteur Ancel à la même époque. L'écriture de Laurence Werner-David se cale entre l'étrangeté des mots adolescents et le stye clinique des observations psychiatriques.

Sa phrase est simple mais jamais simpliste, elle est attentive, progressive, déliée. Parfois, relancée, après une première fin possible, par un adjectif, une proposition détachée. le paragraphe se bâtit, phrase après phrase, qui se suivent comme des aplats. Des touches choisies, par exemple, pour la description d'un lieu, des objets détourés. Une parataxe, mais sans brusquerie. Un rythme patient se dégage. C'est cette palette minutieuse, précise, élégante, qui permet de circonscrire peu à peu le mystère, d'exprimer le trouble, la confusion, non des sentiments mais des places, comme si chaque phrase touchait juste, en plein dans le mille chaque fois, mais se nimbant d'un halo de silence, de vide, que la phrase continue de sculpter de loin en loin.

Dans cette pratique, l'élection et la création onomastique joue, comme d'ailleurs dans les prouesses imaginatives de la fratrie Brontë, un rôle essentiel. Les noms d'Hector Wolpe, de Lucie Ancel, de York et de Saint-Maurice, égrènent comme des ancres, des balises, emblématiques de cette précision sans avarice ni aridité qui pose, pointe, signe, mais pour mieux ouvrir, creuser la fiction.

Une image pourrait alors figurer le texte de Laurence Werner-David, celui du caillou jeté dans une étendue d'eau calme. La pierre s'enfonce, entraînant avec elle son énigme, que les ondes circulaires à la surface signalent, aux crètes de plus en plus espacées, mais néanmoins présentes et conséquentes. Image d'une écriture, mais image également de la littérature et de ses effets que Quitter Hurlevent se voue à interroger, dont les vibrations résonnent pour le lecteur bien après la lecture et qui dessinent parfois, comme pour la famille Wolpe, les cercles d'un enfer.

Quitter Hurlevent, de Laurence Werner David, Quidam éditeur, janvier 2024.

Un magnifique article d'Éloïse Lièvre, dans la revue AOC.
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Les hauts de Hurlevent d'Emily Brontë est sans doute le roman que j'ai le plus souvent relu, avec à chaque fois un éclairage différent. A la parution de ce livre de Laurence Werner David, ma curiosité fut en mode alerte. En plus, cette couverture inspirée d'une toile de 𝐅é𝐥𝐢𝐱 𝐕𝐚𝐥𝐥𝐨𝐭𝐨𝐧 « 𝐓𝐡𝐞 𝐰𝐢𝐧𝐝 » datée de 1910 sur ce fond jaune est extraordinaire.

J'ai eu mal à me glisser dans le roman. le premier chapitre est assez déroutant, énigmatique. Louise et Lucie, en Bretagne, avec Pia la fille de Louise reçoivent la visite de Nils. Et pourtant ce chapitre a toute son importance.
Zoom arrière…
2016 : Lucie Ancel psychiatre, vit avec sa soeur enseignante et sa fille Pia qu'elle partage en garde alternée avec son père.
Dans un concert, les deux jeunes femmes croisent Hector. Il s'agit d'un jeune anglais, un de ses premiers patients qui fut confié à Lucie alors stagiaire, en 2001, il y a une quinzaine d'années.
Après un accident, des amours avec Louise, Hector s'enfuit. Lucie décide de le retrouver, s'envole pour York..
Dans ce livre, tous les acteurs sont des héros. le père de Hector a une étrange et envahissante fascination pour la famille Brontë, surtout pour la créativité et du Grand Jeu des enfants, Charlotte, Anne, Emily et Brandwell qui conduira Hector en famille d'accueil et en foyer psychiatrique depuis ses 7 ans.Durant tout le roman j'ai eu l'impression qu'il me manquait une ou plusieurs clés de lecture. Que s'est-il passé à l'institution Saint-Maurice que Lucie nous cache ou a oublié ? Des non-dits, des attractions néfastes, des suppositions, des relations étranges…Fascinant. Laurence Werner David nous montre les dérèglements mentaux dont souffre Graeme Wolpe et ceux qu'il transmettra à son fils Hector.
Il est aussi question de la difficulté de vivre, du pouvoir de la littérature, de l'emprise, de projection, de famille, de part d'ombre.
Ce livre a peu à voir avec Les hauts de Hurlevent, il faut d'ailleurs s'en dégager pour mieux se faire surprendre par les similitudes. J'ai aimé Anne et Nils.
Une lecture palpitante et exigeante.
Lien : https://www.plkdenoetique.co..
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