* (2 truands, armés de mitraillettes, à la recherche de Miss Harrington, sont abattus par le soi-disant docteur Séverance, protecteur de Miss Harrington. On a dit au petit Billy que c’était des chasseurs de lapins, et chacun fait mine d’y croire pour ne pas l’effrayer. Ici l’oncle Sagamore et Pop, son frère, découvrent les deux cadavres et échangent avec le Dr Severance. Je n'ai pas mis toute la scène, qui se poursuit de façon hilarante, avec l'oncle Sagamore qui extorque moult dollars au faux Dr Severance, d'abord pour étouffer l'affaire, puis pour enterrer les cadavres et enfin pour y ajouter un office chrétien. Les deux cadavres seront finalement jetés dans un puits abandonné sans autre forme de procès.)
— Messieurs, il vient de se passer Une chose épouvantable. Je ne trouve pas d’autre mot. Qu’est-ce qu’est arrivé ? demande Pop.
Le docteur Severance recommence à s’essuyer la figure avec son mouchoir et montre du doigt les chasseurs de lapins, l’un après l’autre, en détournant la tête comme si ça lui était trop pénible de les regarder.
- Morts, il dit, tristement. Morts tous les deux.
- Quel malheur, tout de même, dit mon oncle Sagamore. Et comment c’est arrivé au juste ?
- Eh bien ! dit le docteur Severance en respirant un grand coup et en ayant l’air de se remettre un petit peu, j’étais là un peu plus loin sur le sentier, quand j’ai vu ces deux hommes qui se baladaient par-là, en train de chercher des lapins. Je m’apprêtais à les appeler pour leur demander s’ils avaient fait bonne chasse, quand tout d’un coup voilà qu’un petit garenne à poil roux déboule de derrière un buisson, juste entre les deux. Et puis, pour je ne sais quelle raison, il change d’idée, fait demi-tour et repasse entre eux, juste comme ils épaulaient et tiraient. C’est la chose la plus effrayante que j’aie jamais vue. Ils se pont purement et simplement bousillés l’un l’autre.
Mon oncle Sagamore se penche pour regarder de plus près le premier chasseur. Ensuite, il s’avance vers l’autre, le fait rouler un petit coup sur lui-même et l’examine aussi, Après quoi, il revient vers nous, s’accroupit et sort sa carotte de tabac. Il l’essuie sur sa jambe de pantalon, en détache une grosse chique d’un coup de dent et secoue la tête :
- Sacré nom de nom, ça devait être pénible à voir. Les pauvres bougres se sont tirés dans le dos.
Le docteur Severance approuva d’un signe de tête :
_ Exactement, et c’est pour ça que c’était si pénible. Ils ont vu venir le coup, les malheureux, mais c’était trop tard. Au moment même où ils appuyaient sur la 1a détente, ils se sont rendu compte de ce qu’ils venaient j de faire. Ils se sont retournés pour essayer d’esquiver, mais macache.
Mon oncle Sagamore expédie une giclée une giclée de chique dans la nature et s’essuie la bouche d’un revers de main :
- M’est avis que c’est chose pitoyable et cruelle que voir ces gars de la ville venir chasser le garenne dans les bois. Ils sont empotés comme il n’est pas permis. Et dangereux, pas seulement pour les autres, mais pour eux-mêmes ; ils ont des armes à feu entre les mains et ils ne savent même pas s’en servir.
Il s’arrête et regarde le docteur Severance :
-Mais ne prenez pas ça en mal. J’veux pas dire qu’ils sont tous comme ça. J’voudrais pas que vous pensiez que je mets tous les gars de la ville dans le même sac. C’est sans offense, bien entendu.
- Je comprends, dit le docteur Severance, je comprends.
- Mais tout ça, c’est à côté de la question. J’estime que ce qu’il faut faire maintenant, c’est aviser le shérif que ces deux pauvres bougres se sont occis l’un l’autre, et qu’il les embarque le plus tôt possible ; par cette chaleur, ce serait plus sain.
Le docteur Severance approuve d’un signe de tête :
- Hé ! oui. C’est le moins qu’on puisse faire. Et puis tout d‘un coup, Il se ravise, se gratte le menton l’air tout pensif :
- Hum… Messieurs, je viens de me rappeler quelque chose.
Il sort son portefeuille de sa poche de derrière et commence à en tirer des tas de trucs…Finalement, il en sort un paquet de billets assez gros pour étouffer un cheval et le laisse négligemment tomber sur ses genoux comme s’il s’agissait d’un paquet de vieilles chaussettes, tout en continuant à farfouiller dans le portefeuille.
Pop et mon oncle Sagamore regardent les billets.
- Qu’est-ce que vous cherchez ? demande Pop
- Oh ! répond le docteur Severance, j’avais là une copie des règlements de la chasse. Il lève le portefeuille, le secoue, l’écarte pour bien regarder à fond dedans. J’aurais juré que je l’avais. J’ai dû le laisser dans mon autre complet.
- Les règlements de la chasse ?
- Tout juste, dit le docteur Severance en remettant dans le portefeuille tout ce qu’il en avait sorti, l’argent en dernier. Bien qu’au fond, il importe peu que je l’aie ou non sur moi. Je me souviens parfaitement du règlement, puisque je le lisais pas plus tard qu’hier. Et savez-vous une chose, messieurs ? Et je ne vous le dirais pas si j’en étais pas sûr. Mais la chasse aux lapins de garenne est fermée quinze jours.
- C’est ma foi vrai, nom d’un pétard ! Je me souviens, maintenant ; moi aussi, je l’ai regardé l’autre jour, le règlement.
- Eh ben ! fait Pop, en regardant les deux chasseurs de lapins, ils auraient dû avoir honte de chasser un lapin comme ça hors saison. Ils ne sont pas autre chose que de vulgaires criminels.
* (Billy par régulièrement et naïvement nager au lac avec Miss Tchou-Tchou et son protecteur s’esclaffe ironiquement)
– He ! Y a Weismuller qu’est là !
Miss Harrington sort. Elle a mis sa petite barboteuse rayée comme du sucre d’orge et elle a son petit sac à l’épaule.
– Hello. Billy !
– Que tombeur, ce môme ! dit le docteur Severance. Tu dois être plein aux as ? Ou alors c’est ta brasse papillon ?
– Oh ! la ferme, lui dit Miss Harrington.
* (Le père de Billy qui a interdit à son fils de nager avec Miss Harrington apprend que le maillot de bain de la jeune femme est assez minimaliste…)
– Un costume de bain tout en diamants, il fait comme s’il se parlait à lui-même, vous vous rendez compte ! Où est-ce ce que vous allez nager, Miss Harrington et toi ?
– Nulle part, je réponds. Tu me l’as défendu, tu te rappelles pas ?
– Ah mais oui, au fait !
Il reste un moment sans rien dire, puis il se retourne vers le haut de la colline et me dit, en s’agitant sur la banquette, comme si quelque chose le tracassait :
– J’ai dans l’idée que pour qu’il soit tout en diamant, il doit pas être bien grand ?
– Non. Juste une espèce de petit carré, à trois coins, avec une ficelle qui passe dans le milieu.
– C’est tout ?
– Ouais, je réponds. Ça lui laisse toute la place pour nager. C’est pas encombrant du tout.
– Non d’un pétard ! il fait. (Et on dirait qu’il s’étrangle avec la fumée de son cigare.) Tes sûr que
C’est pas trois carrés ?
– Non. Un seul. Pourquoi ? Y en a trois, d’habitude ?
Ben, heu… j’pourrais pas l’affirmer. J’ai l’impression d’avoir entendu quéqu’ part que c’étaient trois, la plupart du temps. Mais j’ai idée que ça ne change rien à la chose.
– Oh ! la ferme, lui dit Miss Harrington.
* - Allons, Finley, c’est pas des manières de parler comme ça d’une pauvre petite qu’a pas beaucoup de santé.
- Ou bien elle s’en va, dit .mon oncle Finley, enf rappant des deux poings sur la table, ou bien c’est moi qui pars.
-Mon oncle Sagamore secoue tristement la tête :
– Finley, c’est un choix pénible que tu nous forces à faire. Tu vas nous manquer, tu sais.
Pop demande à mon oncle Sagamore, pas assez fort pour être entendu de mon oncle Finley :
– T’as idée qu’il va vraiment s’en aller ?
– Penses-tu ! A ce que je vois, tu l’as pas bien compris. C‘est le genre de gars qui s’est mis en tête que son devoir, c’est de traquer le péché partout, de rester collé après et de le surveiller tout le temps, de façon à toujours être monté contre et à ne pouvoir jamais penser à autre chose.
– T’as raison, dit Pop.
– T’inquiète pas pour Finley. C’est pas en lui agitant un petit derrière rose sous le nez que le diable arrivera à le chasser d’ici. C’est pas un corniaud.
Y a pas à dire, faut s'échiner jour et nuit si on veut s'en sortir, avec le gouvernement qui prend quasiment tout c'qu'on gagne.
Ça fait toujours plaisir de montrer qu'on est assez bon fermier pour mettre quéqu'sous de côté, de quoi se payer quelques bricoles, même après qu'on a engraissé tous ces foutus politicards.
8 mai 2023
François Guérif (directeur de la collection "Rivages Noirs") parle de l'écrivain Charles Williams, adapté de nombreuses fois au cinéma.