Elle a quasi trente ans, elle est belle, séduisante et brillante, elle a été major de promo tous les ans, d'ici quelques mois elle finira son internat de gynécologie-obstétrique. Jean Atwood a tout pour elle mais elle est folle de rage. Pour valider la maquette, son coordonnateur lui impose un semestre dans un service de médecine, loin des blocs opératoires qu'elle aime tant. Elle, n'en déplaise aux mecs, elle veut être chir', rien ni personne ne la fera changer d'avis. Alors se retrouver pendant six mois à l'unité de Médecine de la Femme, quelle plaie ! Et encadrée par un médecin généraliste, avec ça ! le responsable n'est même pas gynéco, pensez-vous !
Jean (prononcez "Djinn") enrage, elle se débat, elle se révolte. Elle crie ses quatre vérités à ce Dr Karma (que tout le monde appelle "Franz", imaginez un peu !) qui ne ressemble pas aux chir', qui prend le temps, qui écoute, qui ne juge pas et semble se sentir tellement plus humain, plus attentif, supérieur à ses confrères. Et puis... peu à peu, elle comprendra ce qui se joue dans le fonctionnement de cet étrange service.
Quelle claque et quel incroyable moment à la fois !
le Choeur des femmes m'a touchée à plusieurs titres : en tant que femme bien sûr, en tant que patiente ensuite, mais aussi en tant que médecin.
J'en suis à peu près au même point que Jean : dans quelques mois, je terminerai mon internat. Oh, pas en chirurgie, les trucs manuels et minutieux, très peu pour moi ; non, moi, je serai psychiatre. Deux salles, deux ambiances. Et pourtant... Comme Jean, avant l'internat de spécialité, j'ai fait les six ans de fac de médecine. Aussi, les chir', je les ai un peu fréquentés, en cours ou en stage, et ce que je n'ai pas vu de mes propres yeux (dès que possible, j'ai fui le CHU pour aller dans des hôpitaux plus petits avec des médecins à l'ego moins hypertrophié), des amis y ont assisté : les brimades, les insultes, les humiliations, les "Dégage de là, espèce de bon à rien", les "Mais t'es co*** ou quoi?", les remarques sexistes, les blagues dégueulasses, et puis n'allez pas croire, même après pendant l'internat c'est pas parce qu'on est en psychiatrie que tout le monde est gentil. Dans l'avertissement,
Martin Winckler le dit : "Presque tout le reste est vrai". Je vous assure que ça l'est, ou que ça peut l'être. La maltraitance institutionnelle (fermeture de lits, diminution du personnel, vous connaissez la chanson), la maltraitance entre confrères, l'élitisme délirant de certains chefs/doyens, la pression des examens du concours d'être toujours meilleur, le chantage pour les postes ("Ah tu veux rentrer chez toi? Tu sais, ton co-interne reste sur ses lendemains de garde"), tout est vrai. Même si ce n'était pas son but premier, ce roman est un témoignage de ce que nous subissons au cours de nos longues études. Aujourd'hui, on entend pas mal parler de burn-out chez les médecins, maintenant vous comprenez pourquoi.
Cependant, ce livre est avant tout un témoignage de ce que nous faisons subir à nos patients (ou plutôt nos patientes en l'occurrence ici), et souvent involontairement. On fait ce qu'on a vu faire, dit ce qu'on a entendu dire, de manière automatique et il serait parfois bon de faire une pause et de réfléchir à ces habitudes, à notre façon de nous présenter, de mener les entretiens ou les examens.
le Choeur des femmes permet de faire un pas de côté et donne l'occasion de reconsidérer notre manière de soigner les autres. En tant que patiente, ça réconforte de savoir que des médecins vont lire ce livre, accéder à ce message et repenser à quel type de soignant ils ont envie d'être.
En tant que femme, eh bien, j'aimerais dire un énorme merci à
Martin Winckler. Merci de souligner que nous avons (ou devrions avoir) le droit de choisir ce qui concerne notre corps, merci de répéter que non, nous ne sommes pas obligées d'avoir des enfants pour être épanouies, merci de rappeler qu'il n'est jamais trop tard pour se sentir belle amoureuse heureuse, pour avoir envie de tout envoyer promener et tout recommencer.
Merci, merci, merci. J'ai dévoré ce livre en quelques jours ! C'est un coup de coeur !
Challenge ABC 2022/2023