Valeurs en coffre

-Faites-la rire.
-Je vois: la faire rire.
-Vous le pouvez si vous le voulez. Elle a un sens de l'humour très aigu, cette fille. Moquez-vous d'elle. Charriez-là, comme dirait Mrs Molloy. Je sais ce que vous pensez. Vous vous demandez: "Que ferait un troubadour à ma place?" et vous vous dites que vous devriez ramper. Je vous supplie à deux genoux, mon vieux, d'oublier toutes ces âneries. Soyez gai. Soyez léger. Vous avez la langue bien pendue; je ne le sais que trop. Servez-vous-en. Ne vous traînez pas à ses pieds, avec l'air pleurnichard et tragique d'un cafard sur qui la cuisinière vient d'envoyer du fly-tox.

Mrs Cork commença à éprouver une très nette antipathie pour ce jeune homme. Elle préférait, dans son entourage, des hommes perpétuellement approbateurs, dans la meilleure tradition d'Hollywood. Ses yeux reflétèrent ce regard dur et métallique bien connu de ses porteurs indigènes et des commerçants mulâtres du continent noir. C'était ce regard qui lui avait valu parmi eux le surnom de "Mgobo-Mgumbi", qui peut être assez librement traduit par"Celle-A-Qui-Il-N'est-Pas-Prudent-D'essayer-De-Faire-Une-Entourloupette."

Qu’elles fussent grandes, petites, minces, potelées, blondes, brunes, il aimait leur société et était attiré vers elles. Trop souvent, en face d’une jeune fille, il était porté à lui parler à l’oreille. Oui, c’était le point faible de son caractère et cette expérience lui avait été envoyée pour le corriger. Il avait trop de dispositions pour le marivaudage. La nature l’avait doté d’une grande facilité pour cette sorte de conversation sentimentale, contenant une part de badinage et une part de sincérité, et trop souvent, au cours de réceptions, raouts ou autres réunions, il se surprenait à serrer dans un coin la plus jolie fille présente et à lui débiter des fadaises.

Mr Molloy fut choqué.
-Tu ne ferais pas cela ?
-Si, certainement.
-Mais c'est bas, indigne d'un gentleman. Je n'aurais jamais pensé que tu puisses t'abaisser à un acte pareil, Chimpie.
-J'ai fait des exercices d'assouplissement ces temps derniers, expliqua Mr. Twist. Je peux m'abaisser à n'importe quoi, maintenant.

J’avais toujours cru qu’un avocat, dans ce cas, pouvait dire tout ce qu’il voulait, tandis que le juge se renversait dans son fauteuil, en riant sous cape de ses bons mots, et ce fut un coup très dur pour moi quand il me sauta à la gorge. Cependant on ne peut contester à ces juges une bonne dose de perspicacité, mère Balsam ; ce sont des psychologues. Vous avez remarqué ce qu’a dit celui-ci au sujet de ma carrière au barreau ? Il ne faisait qu’exprimer ce que j’ai si souvent pensé. A partir de maintenant, j’entends me consacrer au seul travail pour lequel je me sente des dispositions naturelles. J’écrirai des romans d’aventures et ne me laisserai plus détourner de ma tâche. Quand on viendrait m’offrir de plaider la dernière cause célèbre, je m’excuserais et répondrais que je ne suis pas fait pour cela ! C’est aller au devant d’un désastre, à notre époque de spécialisation que de disperser ses forces.