Printemps 1945, au sud de l'archipel d'Okinawa. L'armée américaine lance l'offensive qui va lui permettre d'en finir avec la furie nippone. Les japonais jouent leurs dernières cartouches, dans un élan jusqu'au-boutiste, en mobilisant les plus jeunes. S'ils sont d'abord chargés d'un soutien logistique à l'arrière, aux côtés de jeunes filles infirmières, chacun des membres de l'unité Fer et Sang pour l'Empereur de l'école secondaire numéro un de la Préfecture d'Okinawa qui vient de se créer s'est juré de tuer au moins dix soldats ennemis. Parmi eux, Shinichi Higa, 14 ans. Nous allons le suivre en immersion durant toute cette aventure désespérée. le romancier est cependant le narrateur, ce qui nous laissera tout au long du roman un suspense insoutenable : comment finira ce gamin, a-t-il seulement une chance d'en réchapper ?
Attention, âmes sensibles, chaque page apporte son lot de peur, de tension, d'horreur, de dégoût. Les japonais se raccrochent pour y croire encore aux grottes ancestrales disséminées sur le relief escarpé du bord de mer, qui leur servent de casemates, de planque. Mais les américains font feu de tout bois depuis la mer, et bientôt des chars débarquent. Les défenseurs tombent comme des mouches, malgré leur vaillance, soutenue un temps par la propagande des états-majors qui annoncent la grande contre-offensive (qui ne viendra jamais), et le flegme rassurant des sous-officiers. C'est sanglant, les cadavres sont partout, les chairs à vif des corps blessés régalent la vermine, les corps sont démembrés, les survivants souffrent. C'est l'enfer, et dans la boue, vu qu'il pleut presque sans discontinuer, dans la nuit qui revient vite. le petit Shinichi voit ses comparses mourir un à un. Il est frustré d'être interdit de sacrifice, trop jeune, alors qu'à peine plus âgés d'autres vont se ruer mine au dos sous les chars ennemis. Tout en jouant son rôle de soutien aux blessés, il doit aussi penser au fur et à mesure de la destruction des abris à sauver sa peau. Alors il erre littéralement sur le champ de bataille, désorienté, en recherche de compatriotes, il est sans cesse contraint de se cacher sous les corps en décomposition. Si Shinichi apparaît déterminé à mourir en soldat, à survivre pour enfin trouver l'occasion de tuer un ennemi, l'occasion tarde, tarde encore à se présenter. L'idéal serait de mourir en héros, en kamikaze, ou en dernière extrémité de se suicider. Surtout éviter le déshonneur d'être fait prisonnier…
Ces quelques 170 pages sont aussi étouffantes que captivantes, tellement nous mangeons avec quelques hauts-le-coeur de viande humaine infestée de vermine.
Akira Yoshimura, connu pour son écriture d'une précision chirurgicale, dénuée de pathos (peut-être parfois un peu trop naturaliste, justement ?) nous livre un véritable reportage en direct du front, un film au coeur de l'action. Et comme il ne lâche pas d'une semelle son jeune héros Shinichi dans son parcours, on imagine un tournage façon « Il faut sauver le soldat Ryan ». Même les temps plus lents ne le sont qu'en apparence, tellement l'insécurité et la tension règnent.
Mourir pour la patrie est un grand roman de guerre, où
Yoshimura rend hommage au courage simple de ces hommes qui ont lutté, pour l'honneur du pays, en sachant certainement que tout était perdu. Sa force est cependant de rester mesuré, certains des personnages croisés étant plus attachés à sauver leur peau. D'ailleurs, son héros lui-même évolue : l'horreur de la guerre va l'endurcir de jour en jour, la saturation des corps mutilés et pourrissants finit par le rendre moins sensible, voire indifférent à la détresse des mourants qui supplient une goutte d'eau, au point d'abandonner à leur sort funeste ceux qu'il aurait aidés les premiers jours.
A mon avis,
Akira Yoshimura n'usurpe pas les éloges de Mishima, qui le qualifiait dans les années 1960 de « meilleur d'entre nous » parmi les écrivains japonais de son temps, alors même qu'il n'avait pas encore écrit ses grands livres.