Bella réfléchit. A ses yeux, tous les chiens sont des mâles, comme tous les chats sont des femelles. Les chiens chassent en meutes, empestent la maison et rampent devant leur maîtresse. ce sont les fascistes naturels du monde animal. Caressez-les, ils vous mordent la main. Battez-les, ils vous aimeront pour toujours.
Elle lui avait enseigné une leçon inestimable : celui qui vit par le poing périra par le sac en plastique.
Pour Bella, la justice n'est pas la justice biblique. Jamais elle n'appliquera le principe oeil pour oeil, dent pour dent. Cette parité laxiste et molle lui donnerait presque envie de vomir. Elle exige un oeil pour une dent et une vie pour un oeil.
Poignarder quelqu'un, découvrit-elle, était un acte étrangement intime.
Une femme d'un certain âge promenait son chien. Elle salua d'un signe de tête Bella et son gentil fiancé.
- Les hommes me font peur. (...) Leur appétit me fait peur. Leur façon de me regarder me fait peur. Ce que je lis dans leurs yeux me fait peur.
- Et qu'y lisez vous?
- Ce qu'ils désirent, ils doivent le posséder. Ce qu'ils ne peuvent pas posséder, ils doivent le pénétrer. Ce qu'ils ne peuvent pas pénétrer, ils doivent le détruire.
Bien au-delà des controverses que l'on sait avoir accompagné la parution du livre en 1991, c'est le style qui m'a époustouflée à la lecture de ce "Dirty week-end".
La narration glaciale -tantôt ironique, souvent laconique- pose tout à la fois les faits, rapportent les dialogues, nous fait cheminer avec Bella dans l'épuisement psychique jusqu'au basculement vers l'aridité obsessionnelle de la pensée en guerre, et nous place alors dans le point de vue asséché, opérationnel, du combat ultime où la perception se réduit au sentiment d'inéluctable.
Ce style qui implacablement, avec précision et détails, décrit en tout la souillure et le délabrement, des personnages jusque la ville, Brighton, écrin de leur déshérence, ce style donc, s'emporte furtivement au chapitre XIX vers une poésie sombre qui rend la vie à sa palpitation, à l'impression d'un apaisement possible :
"Les galets aspiraient ses pieds, la mer sanglotait à ses côtés, le vent mordant emplissait sa bouche. Elle était allée si loin, elle avait grimpé si haut qu'être seule n'avait plus d'importance. Qu'ils la voient sur la plage. Qu'ils essaient de l'approcher sur la plage. Qu'ils osent.
Bella est en paix avec elle-même et le monde. Elle a fait certaines choses, et maintenant elle va essayer d'oublier. Elle les a tous éliminés. Elle a saisi leur hypothèque. Elle leur a donné notification de congé. Ce n'est plus un agneau sur le billot du boucher. La peur permanente a disparu. Elle se promène seule, par une nuit de lune, et elle marche à grands pas au bord de la mer."(p195)
Et c'est alors le coeur palpitant que nous sommes entraînés vers l'extrémité -l'au-delà de la grève Ouest- où le récit nous jette hors d'haleine, sommés de penser (=remettre en question ce que l'on pense) durablement la violence des dominations.
Il dit : Je n'aurais pas dû te frapper. Je ne frappe jamais les femmes, à moins qu'elles le méritent et tu le méritais. Tu m'as provoqué, alors je t'ai frappée. Il faut être juste. C'est toi qui m'y à forcé. C'est ta faute.
Pour la plupart des gens, dit-il, le monde se divise entre meurtriers, victimes et spectateurs.
Elle aurait pu lui dire, s’il le lui avait demandé, qu’il ne fallait pas glisser la main dans son manteau. Elle aurait pu lui dire qu’il fallait les deux mains pour maîtriser une Bella.