Je sentais qu'il s'efforçait de me communiquer physiquement son espoir : je le sentais à la tendresse et à l'affectueuse pression de ses doigts qui tenaient les miens en gage de remerciement et de promesse solennelle.
Quand, après une résistance désespérée, il se fut enfin résigné à me laisser partir, il me parla d'une voix toute attendrie. Il me prit les mains, les caressa tout du long avec la sensibilité d'un aveugle, comme si ces doigts voulaient davantage me connaître et me témoigner plus d'amour que ne le pouvaient des paroles.
Avec une précaution infinie, comme s'il touchait un objet fragile, il tira du carton un passe-partout qui encadrait une feuille de papier vide et jaunie. Prudemment, du bout des doigts, il la souleva devant ses yeux éteints et la contempla avec enthousiasme, sans la voir. Tout son visage exprimait l'extase magique de l'admiration. Tout à coup, était-ce le reflet du papier ou une lumière intérieure, ses pupilles figées et mortes s'éclairèrent d'une lueur divinatrice.
Et en disant cela, sa main caressait tendrement, comme des êtres vivants, les cartons depuis longtemps dégarnis - et ce spectacle me faisait frémir en même temps qu'il me touchait, car, durant toutes ces années de guerre, je n'avais jamais vu un visage allemand s'éclairer d'une félicité aussi pure et parfaite.
Au milieu de la pièce, un vieillard robuste, la moustache embroussaillée, sanglé dans sa robe de chambre comme un soldat dans son uniforme, se tenait debout et me tendait cordialement les mains. Ce geste spontané de franche et cordiale bienvenue contrastait étrangement avec son attitude raide et immobile. Il n’avança pas à ma rencontre. Un peu surpris, je m’approchai pour lui prendre la main. Pourtant quand je voulus les saisir, je remarquai que ces mains immobiles à l’horizontale ne cherchaient pas la mienne, mais l’attendaient. Instantanément, je devinai tout : cet homme était aveugle.