La rue appartient au peuple, n'est-il pas vrai, citoyens ? (...) Cet homme [Bonaparte] nous a tout pris : nos députés il les a dispersés à la baïonnette, nos tribunaux du peuple il les a suspendus ! Seule la rue nous reste encore pour y parler librement. Et puisque nous ne pouvons obtenir justice, que les juges et les avocats sont vendus, il ne nous reste plus que la rue pour la réclamer ! Si nous avons envoyé au diable les aristos était-ce pour qu'à leur place ce soient les généraux qui viennent nous botter le cul ?
(p. 158-159)
Cour intérieure d'un palais de l'Esbekieh, au Caire, bâtiment à un étage. A l'arrière-plan, escalier conduisant au Grand Quartier Général de l’état-major et aux appartements du général Bonaparte. Au premier plan, assis ou debout autour d'une table, des soldats de garde et l'officier d'intendance Deschamps. Crépuscule. Ciel d'Orient, d'un bleu opalin, piqué de pâles étoiles.
- (...) c'est le curé qui nous l'a racontée quand nous étions enfants, cette histoire de la Bible, l'histoire de l'homme riche qui a 1 000 ou 10 000 brebis, alors que son voisin, le pauvre, n'a qu'un agneau, un seul. Mais ce n'est pas le pauvre qui jalouse l'autre, c'est le riche qui s'empare encore de l'agneau du pauvre, de son seul bien... Et dis, sais-tu comment se termine l'histoire de la Bible ? Que dit le bon Dieu devant cette injustice, lui qui soi-disant est là pour juger et pour punir ?... Et les autres, que font-ils, les autres, les camarades, les voisins, les amis. Hein ?
- Laisse donc ces histoires de la Bible...
- Rien, je te dis, le bon Dieu ne dit rien et ne fait rien à l'homme riche... Pas plus alors qu'aujourd'hui. Il se tait, regarde et brûle de l'encens dans sa pipe. Peut-être même trouve-t-il du plaisir à ce spectacle. Personne ne vient en aide au pauvre diable, personne, et lorsqu'il crie, Dieu se bouche les oreilles. Et les amis... sais-tu ce qu'ils disent : "Contiens-toi, Fourès, contiens-toi."
(p. 96-97)
Que peut-on faire de grand dans ce tas de sable étroit qu'est l'Egypte! Ici il en est passé d'autres avant moi ; César, Pompée, des khalifes et des pharaons ont vaincu des peuples, construit des villes... et qu'en est-il resté? Rien! Ici il n'y a toujours qu'un seul vainqueur : le sable!
Ce n’est qu’en marchant sur des cadavres qu’on entre dans l’immortalité ! Il suffit de voler pour devenir riche, d’avilir les autres pour être grand !
BONAPARTE.
Ici, il n'y a toujours qu'un seul vainqueur : le sable ! Faudrait pouvoir aller aux Indes, avoir la mer, la Syrie, l'Arabie, le Bosphore... alors on pourrait bâtir un empire, créer un édifice qui reste. Mais ici ? Sache, mon amour, qu'il n'y a de grand que ce qui demeure, quelque chose qui vous survit, ne serait-ce qu'un nom ou un enfant.
Acte II, premier tableau.
La prudence n’est qu’un mot évasif pour désigner la peur.