Citations sur Wondrak et autres nouvelles (18)
Bien des fois, quand j'étais contrarié par des petits soucis pécuniaires, je me suis rappelé cet homme qui vivait au jour le jour, calme et serein, car en aucun cas il ne désirait plus que ce qui lui était suffisant pour une journée. Cela me ramenait invariablement à la même considération : si les gens se faisaient mutuellement confiance, nous n'aurions besoin ni de police, ni de tribunaux… ni même d'argent.
[Un homme qu'on oublie pas]
Alors seulement je pris conscience de la tristesse infinie qu’il y avait dans ce visage tourmenté, aux yeux mornes sous les paupières lourdes et à la bouche amère et farouche, déformée par la paralysie. La mine sombre, il s’appuyait sur ses coudes pour empêcher sa tête penchée en avant de tomber de fatigue, une fatigue qui n’était pas besoin de sommeil mais lassitude de la vie. Personne ne lui parlait, personne ne se souciait de lui. Pareil à un grand oiseau gris déplumé, tassé dans l’obscurité de sa cage, rêvant peut-être à sa liberté d’autrefois lorsqu’il pouvait encore déployer ses ailes et traverser l’éther — tel il m’apparut.
J’ai perdu tout désir, tout me dégoûte. Je déteste chacune des pierres de cette ville que je foule, je hais ma chambre, je hais les gens que je croise ; quelle torture de respirer cet air froid, humide et sale ! Tout m’oppresse ici, je dépéris. Je m’enfonce comme dans un marécage. Je suis sans doute trop jeune, et de toute façon je suis trop faible. Je ne me sens pas armé pour me battre, je n’ai pas de volonté, je suis pareil à un petit garçon au milieu de cette foule affairée.
Non, plutôt dépérir ici en silence que demander de l’aide. N’avait-il pas appris que la vie anéantissait tout ce qui était débile et inadapté ? Elle saurait ne pas l’épargner lui non plus en lui réservant le sort qu’il méritait…
Tel un papillon de nuit enfermé dans une pièce, une pensée bourdonnait dans sa tête : la lutte désespérée qu’il avait menée contre cette femme n’avait-elle eu lieu qu’en rêve ?
Et il sentait, toujours plus menaçante, la peur du soir, l’angoisse, enfantine, inexplicable, de la solitude dans cette chambre étrangère, une nostalgie violente qu’il ne pouvait nier plus longtemps. Il était tout seul dans cette ville gigantesque où battaient des millions de cœurs et personne ne lui parlait hormis cette pluie qui clapotait, sarcastique, personne ne lui prêtait attention, ne le regardait, lui qui luttait contre les larmes et les sanglots, honteux d’être pareil à un enfant, incapable d’échapper à cette inquiétude tapie derrière l’obscurité et qui le fixait, impitoyable, de son regard d’acier.
Nouvelle : La scarlatine
La chambre est sombre et étroite.
Mais un bonheur infini y étend ses ailes dans un silence ravi. Le chaud soleil de l'amour brille au plus profond des ténèbres...
(Printemps au Prater)
Il serait ingrat de ma part d'oublier l'homme qui m'a enseigné deux des choses les plus difficiles de l'existence : d'abord choisir de ne pas se soumettre à la plus grande puissance en ce monde, celle de l'argent, ensuite vivre au milieu de ses semblables sans se faire jamais le moindre ennemi.
Pourquoi la vie avait-elle ainsi joué avec lui, se montrant au dernier moment sous un jour attrayant, pour lui rendre l’adieu plus difficile ? Pourquoi fallait-il que cela survienne à présent que des liens l’unissaient de nouveau à d’autres êtres, que certains risquaient de souffrir, davantage que lui-même peut-être ?
Nouvelle : La scarlatine
Pareils à des nuages chassés par le vent, les souvenirs s’enfuyaient lentement, l’un après l’autre, vers les lointains, les promesses pleines d’imagination de son enfance pâlissaient et se dissipaient dans les brumes.