Quel conteur ce
Victor del Arbol !
Ceux qui me suivent depuis un moment ont pu lire mes avis sur d'autres romans de cet auteur espagnol :
Toutes les vagues de l'océan (que j'appelais opéra hispano-russe), Par delà de la pluie,
La veille de presque tout,
La tristesse du samouraï,
La maison des chagrins ….
Et une fois fermé ce roman je savais que je continuerai à lire cet auteur qui sait si bien peindre les âmes noirs. La 1ere de couv' donne le ton : ce sera noir-noir avec peu de gris et pas de couleurs (donc pas de gaité, ni de sourire) – et comme le montrera le tout dernier chapitre du roman – il y a ambivalence, double lecture (regardez l'image des mains d'un homme sur l'enfant : geste tendre ou violent ?!). Comme a son habitude,
Victor del Arbol nous fait voyager dans le temps – avec des constants aller-retour permettant par le biais de différentes voix de tisser un tapis historico-psychologique d'une extrême densité (et noirceur). Diego Martin a tué (et torturé) le jeune homme qui s'occupait de sa soeur Liria, Martin Pearce. Diego est universitaire et écrivain (spécialiste – devinez de qui ? :
Dostoïevski), il est marié à Rebecca (et aime avoir des étudiantes dans son lit). Son grand-père Simon (marié à Alma Virtudes née dans une famille pauvre et dont le frère s'est jadis opposé à la riche famille Patriota (propriétaires terrien sous le joug de laquelle travaille et vit un village entier)) sera envoyé dans la division Azul sur le front russe (à côté des allemands), survivra dans un camp en Russie et ne rentre que vers 1947.
Son fils Antonio, le père de Diego, lui va passer du temps au Sahara Oriental (engagé en tant que légionnaire). Laâyoune et Dcheira seront ses stations du chemin de croix. « Il est là, en moi. On dit que nous sommes identiques, deux gouttes d'eau au même âge. Être ce qu'on rejette, le voir chaque fois qu'on se regarde chaque matin en se rasant, en se lavant les dents, assis sur la cuvette des WC, c'est difficile. le même nez, les mêmes yeux foncés, les mêmes sourcils, la même bouche. Jusqu'à la façon de rire. Soudain, on est devenu son propre père. On est devenu ce qu'on déteste le plus. «
Diego veut être différent de son père – mais le malheur, la violence (contre les hommes, conjugales, contre les enfants), colle comme une malédiction à ces trois générations. Les descriptions de la violence dans les camps russes (et pendant la/les guerre/-s) est suffocante (et m'a rappelé un peu le roman « aussi loin que mes pas me portent » / »Soweit die Füsse tragen » de J.M. Bauer qui décrit l'évasion (véridique) d'un des camps en Sibérie) – mais au vu de ce qui se passe actuellement en Ukraine, au Moyen Orient comme constitutif de l'être humain.
Victor del Arbol sait dessiner en quelques mots/phrases un personnage ou illustrer, même pour les aveugles, un sentiment, un état.
« Sa voix était légère ; les mots ne pesaient rien quand ils sortaient de sa bouche, comme si avant de les prononcer elle en avait ôté la densité et les avait moulus pour les réduire en poudre….. Elle avait à peine dépassé la cinquantaine, on aurait dit une exilée volontaire, qui aurait décidé de s'éloigner du monde qu'elle avait sans doute connu intensément. » (p. 70) le roman tragique et sombre est divisé en 4 actes (pardon parties). On passe des notes de Diego (écrites en 2011 dans sa chambre de « l'unité d'évaluation et de soins psychiatriques« ) – donc en mode narrative « je », à un narrateur « extérieur » soit à Barcelone (2010 ou 1983-85) ou Badajoz/Estremadure (2010 – ou 1939-1941), soit en Union soviétique (Tcherepovets, Chaika, lac Ladoga – 1943-1947) soit en Sahara oriental (1954-1962) – chaque passage éclaire un pan de l'histoire sur trois générations, rajoute une pièce au puzzle, sans perdre le lecteur…. et illustre parfaitement « cette chaine de silence et de rancoeur qui unit les hommes de cette famille« .
Parfois Victor del Arbol glisse de petites réflexions acides (ou « sociales ») ou un clin d'oeil direction ses préférences musicales, photographiques, cinématographiques (« Les infiltrés » – Scorcèse; Weston, Bohrmann; Roxanne (chanté par
George Michael…. pour ne citer que qqs exemples) « L'ampoule du confessionnal passa au vert. Il vit en sortir une femme avec son sac de courses, qui se signa. Quels péchés avait bien pu commettre une femme aux sandales trouées et aux genoux enflés à force de lessiver les sols à quatre pattes comme un chien ? Ce n'était pas son affaire, mais ce n'était sûrement rien, comparé à ce que d'autres auraient dû confesser. Tous ces connards de politiciens qui passaient leurs journées à faire des promesses qu'ils ne tenaient pas, les crapules qui vivaient en exploitant les autres, les escroc qui s'achetaient une respectabilité avec des dessous-de-table et une villa à Marbella……. » (P. 301)
Je vais arrêter ici pour vous signaler plutôt le beau texte écrit par La viduité nettement plus fouillé sur cette saga transgénérationnelle, avec son parfum d'inceste(s), de haine(s) et de « fatalité ».
Enfin – je souhaite souligner la très bonne traduction de
Emilie Fernandez et
Claude Bleton.
Lien :
https://lorenztradfin.wordpr..