Je suis entré où ne savais,
Et je suis resté sans savoir,
Toute science transcendant.
Moi je ne savais où j’entrais,
Cependant quand je me vis là,
Sans savoir où je me trouvais,
De grandes choses je compris.
Point ne dirai ce qu’ai senti,
Car je suis resté sans savoir,
Toute science transcendant.
De paix et de piété
C’était la science parfaite,
En profonde solitude,
Directement entendue ;
C’était chose si secrète,
Que je suis resté balbutiant,
Toute science transcendant.
J’étais tellement ravi,
Si absorbé et transporté,
Que mon sens demeura
De tout sentir privé ;
Et l’esprit, doté
D’un entendement sans entendre,
Toute science transcendant.
Celui qui parvient là vraiment,
De soi-même il défaille ;
Tout ce qu’il savait avant,
Très bas lui semble maintenant ;
Et sa science augmente tant
Qu’il en demeure sans savoir,
Toute science transcendant.
Plus il monte haut,
Moins il comprenait
Ce qu’est la nuée ténébreuse
Qui éclairait la nuit ;
Aussi celui qui savait
Demeure toujours sans savoir,
Toute science transcendant.
Ce savoir en ne sachant pas
Est de si haut pouvoir,
Que les savants argumentant
Jamais ne le peuvent vaincre ;
Car leur savoir ne parvient pas,
A ne pas entendre entendant,
Toute science transcendant.
Et de si haute excellence
Est ce suprême savoir,
Qu’il n’est faculté ni science
Qui le puissent entreprendre ;
Celui qui saura se vaincre
Par un non savoir qui sait,
Ira toujours transcendant.
Et si vous voulez l’écouter,
Cette suprême science
Consiste en un très vif sentir
De la divine essence ;
C’est l’œuvre de sa clémence,
Faire demeurer sans entendre,
Toute science transcendant.
13 décembre 1591. Jean de la Croix, grand mystique et poète, réformateur de l'Ordre du Carmel aux côtés de Thérèse d'Avila, a rejoint depuis quelques jours le couvent d'Ubeda, au coeur de l'Andalousie. Atteint d'une maladie qui gangrène d'abord sa jambe, puis son corps tout entier, il sent la mort approcher.
Dans son agonie, il se met à parler. Avec soi-même d'abord, mais aussi en dialogue avec celui qu'il n'a cessé de chercher toute sa vie durant, celui qui l'a soutenu pendant les épreuves, pendant les heures sombres. Et peut-être a-t-il aussi quelque chose à dire aux nombreux frères qui l'entourent, ainsi qu'à nous, qui l'écoutons plusieurs siècles après.
Le frère Jean se souvient de l'existence intense qu'il a vécue. de la grande pauvreté d'une enfance villageoise castillane aux bancs de l'université de Salamanque, des rencontres qui l'ont aidé à celles qui ont failli le détruire, d'un cachot de Tolède aux instants merveilleux dans la Grenade andalouse, la vie de Jean de la Croix est une aventure constante, dense, inspirante.
S'affranchissant des cadres habituels, ce livre introduit le lecteur à une compréhension profonde d'un homme hors du commun, dont le message invite à se recentrer sur l'essentiel, à suivre son coeur et à renouer avec la subjectivité et la sensibilité.
Un roman passionnant. Un récit majestueux.
David Clair est diplômé de l'Institut d'études politiques de Paris et titulaire d'un DEA en histoire. Il est l'auteur de L'Oublié de Dora.
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