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Écrire le singulier
Interview : Scali Delpeyrat à propos de Je ne suis plus inquiet

Article publié le 01/04/2021 par Mahaut Adam

 

Tableau de petites proses brèves et poétiques, Je ne suis plus inquiet (Actes Sud), de Scali Delpeyrat, est tiré de la pièce qu'il jouera au Théâtre de la ville dès que le Théâtre rouvrira ses portes à Paris. Car Scali Delpeyrat est avant tout acteur et depuis 2019, avec sa compagnie Le Bel Établissement, il monte ses propres textes pour la scène.

Dans Je ne suis plus inquiet, l’humour et la mélancolie se mêlent en un rythme déjanté et vertigineux dans autant de petites histoires qui se complètent au fur et à mesure de la lecture : le récit de son quotidien et de son inquiétude constante, celui de son père, soldat de la guerre l’Algérie marié à une femme juive et celui de ses grands-parents, échappés des rafles du Vel d'Hiv. Ce récit pénètre l’intimité de l’auteur sans détour ni artifices mais avec une étonnante justesse. Un texte innovant et sincère sur lequel nous avons cherché à en savoir plus.

 


© Scali Delpeyrat

 

Je ne suis plus inquiet se découpe en plusieurs petites histoires imbriquées, complémentaires, mais totalement en désordre. Pourquoi avoir choisi cette forme de puzzle ?

 

Je ne sais pas si on peut dire que j’ai choisi cette forme. Elle s’est plutôt imposée à moi. Elle correspond au projet. Cela dit, je suis fasciné depuis longtemps par les artistes américains de stand-up, qui passent d’un sujet à l’autre de manière brutale, se dispensant de faire des liaisons, enchaînant des sujets apparemment sans rapport, avec des motifs récurrents, les fameux « running gags », et tous ces fragments finissent par dessiner une figure cohérente. Peut-être aussi la psychanalyse m’a-t-elle inspiré ; chaque séance est un monde clos, qui entre en résonance avec les autres séances, sur des tonalités diverses et finissent par éclairer le réel. Enfin, grand amateur de séries télévisées, je suis habitué à l’imbrication des récits, des fils narratifs, qui resurgissent mine de rien, les uns éclairant les autres. J’aime l’idée de prendre le lecteur par la main à travers un faux dédale, et lui laisser trouver son chemin.

 


Vous livrez ici un texte intime et pudique, comme un journal intime. Qu’est-ce qui vous a donné l’envie de vous ouvrir ainsi, est-ce la mort de votre père dont vous parlez dans ce livre ?

J’ai fait comme tous les auteurs d’autofiction. J’ai pris des motifs de ma vie personnelle par commodité (par humilité aussi, c’est ce que je connais le moins mal)  mais certainement pas dans le but de parler de moi, encore moins de faire une autobiographie (quelle horreur !). J’aime à croire que les autoportraits de Rembrandt disent davantage l’humanité que Rembrandt… Parmi les histoires du livre, il y a celle du narrateur célibataire et sans enfant, qui adopte un chaton à la SPA. L’arrivée de cet animal dans sa vie va changer la donne. Devenir responsable d’un être vivant, s’occuper de lui, le soigner, le nourrir, initie chez lui une « fibre paternelle ». C’est de cette fibre inédite et bouleversante qu’a découlé l’envie d’écrire, le besoin de travailler là-dessus.


Vous parlez de vous mais aussi de l’histoire de votre père et de vos grands-parents, qui ont miraculeusement échappé aux rafles du Vel d’Hiv. Comment s’est construite l’idée de la narration autour de ces trois grands axes temporels ? 

Dès l’instant où j’ai identifié de manière comique l’adoption du chaton à un acte de « paternité », s’est imposé le besoin d’évoquer ce qui me liait à mon propre père. Sa joie de vivre, son silence, sa maladie, notre rendez-vous manqué… D’où comme vous le dites, une temporalité décalée. Un père, c’est une somme de souvenirs, c’est la somme de tous les pères qu’il a été durant sa carrière de père, et ceci du point de vue d’un fils. Ce qu’il y a de merveilleux avec un livre, c’est qu’il donne à l’auteur de la place et du temps. Et la place et le temps sont le lieu du souvenir.

 

L’autre axe temporel, c’est une histoire qui s’inscrit dans l’Histoire, l’épopée des parents de ma mère, ayant échappé de justesse aux rafles du Vel d’Hiv. Là je serais tenté de dire qu’avant même le projet du livre, c’est une temporalité déjà retravaillée par l’exercice du « récit familial ». Les trois « miracles » qui ont permis à ma mère et sa mère d’échapper à la mort ont fait l’objet de nombreuses conversations et débats à l’intérieur de ma famille. Je pense qu’une famille, c’est la somme de tous les récits que cette même famille produit sur elle-même. Écrire cette histoire a été ma façon de m’inscrire dans l’épopée familiale.

 

Quant au troisième axe, il concerne le narrateur, son lieu, à savoir son « ici et maintenant », ses amis, ses amours, ses emmerdes, comme chantait Aznavour. Et le présent, c’est bien aussi. Même quand, de l’endroit du présent, on parle souvent à l’imparfait.


Pensiez-vous publier ce texte lorsque vous l’avez écrit pour la scène ? Qu’est-ce que cela apporte au texte d’après vous ? 

Quand j’ai présenté mon texte à Claire David, éditrice d’Actes Sud Papiers, elle m’a dit : « Scali, votre monologue est bien pour la scène mais avec un peu plus de travail et de matière, il pourrait devenir un vrai livre. Faites œuvre littéraire. » Je lui ai fait confiance. Je la remercie aujourd’hui. D’être passé d’une version scénique de mon récit à une version littéraire m’a permis d’approfondir mon rapport à la structure, à l’émotion, et à une certaine forme d’humour que je pratiquais moins pour la scène. Outre d’avoir apporté au texte, ce passage au « pur écrit » a apporté aussi à la personne que je suis, qui s’autorise aujourd’hui à être un auteur, un faiseur de livre.


Voici les derniers mots de votre livre : « Pour la première fois je n’ai pas envie de connaître la suite. Je ne suis plus inquiet », mais est-ce que vous imaginez une suite à ce texte ? 

J’ai le sentiment, mais je me trompe peut-être, que mes prochains livres, quels qu’ils soient, seront la suite de celui-ci !  Je ne suis pas un « raconteur d’histoires ». Ce qui me passionne, c’est les évènements internes, quand les pensées sont intimement mêlées aux émotions et aux circonstances. Je suis passionné par la complexité quasi burlesque de nos tempéraments, nos désirs, nos actes. Il me semble que chacun d’entre nous est un paysage. Il faut toute une vie pour en faire le tour. En tout cas, beaucoup de livres…

 
Scali Delpeyrat à propos de ses lectures
 


Quel est le livre qui vous a donné envie d’écrire ?


L’enfant et la rivière d’Henri Bosco.

 


Quel est le livre que vous auriez rêvé d’écrire ?

 

Generation X de Douglas Coupland.

 


Quelle est votre première grande découverte littéraire ?

 

Le Lys dans la vallée de Balzac.

 


Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?

 

Le Sens de la Vie et ses frères d’Eric Veillé. (Je ne m’en lasse pas. Dites-le lui, si vous le connaissez.)

 

 

Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?

 

Moby Dick de Herman Melville

 


Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?

 

Le Sens de la Vie et ses frères d’Eric Veillé (qui n’est peut-être pas si méconnu d’ailleurs, que son auteur m’en excuse !)

 


Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?


Le Petit Prince

 


Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?


« Le monde chère Agnès est une étrange chose. » Le plus bel alexandrin du monde ! Mon vers préféré. Ma phrase fétiche. Vous pouvez la susurrer 100 fois dans une journée, elle est toujours vraie. Tirée de L’Ecole des Femmes de Molière.

 


Et en ce moment, que lisez-vous ?


Rien ! C’est horrible. Depuis bientôt 3 mois. Je vais devenir fou. C’est à cause de la « promotion » de mon livre. Je suis immensément heureux qu’il soit si bien accueilli, mais je m’en occupe comme d’un « bébé », ça me prend tout mon espace mental ! Je vais devoir bientôt « lâcher »,  passer à la suite. Lire à nouveau, et surtout écrire !

 

 

 

 

Découvrez Je ne suis plus inquiet de Scali Delpeyrat publié aux éditions Actes Sud.

 

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