Je cite Foucault comme Platon peint Socrate en poisson-torpille : car il a pour de bon tétanisé ses lecteurs. L'ayant lu, personne n'a plus su quoi dire (...). S'extraire des certitudes que Foucault nous a instillées (...), c'est donc en soi un premier et pénible effort.
« Car la pensée du Mal pose par principe problème à tout penseur. Peut-être est-ce même, à la limite, une pensée sans penseur, parce qu’elle implique étrangement une violence mentale insensée – effractante, disons traumatique, terme savant que j’emploie non pour faire le psychologue, mais pour rendre justice à l’expérience de ceux qui l’ont approchée, et qui se sont senti défaillir à son contact [1].
Or, plus la fin sera certaine, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal. Au lieu d’assister passivement, génération après génération, à la disparition de tout ce qui était bon, et qui faisait jusqu’ici sens, et puis sans doute à la disparition non seulement des générations elles-mêmes, mais des derniers individus qui les composent, je fais l’hypothèse que, parmi les derniers hommes, certains transformeront ce sinistre déclin en une ivresse extatique de destruction.
Qui les en empêchera ? Et surtout, au nom de quoi les empêcher de transfigurer en un Mal éclatant ce qui n’était de toute manière que tristement voué à empirer? Plus proche sera donc la fin, et plus passionnément l’humanité trouvera les sources d’excitation nécessaires à vivre dans des actions excessives, atroces, démentes. »
[1] Parmi les traces de cette défaillance, il y en a une peu relevée. C’est la bêtise. Avoir approché pour de bon la pensée du Mal, l’intention d’un insensé qui a fait tout voler en éclat, rend beaucoup de gens idiots, surtout les plus brillants esprits, qu’on voit radoter avec de pauvres mots privatifs (in-humain, a-moral, etc.) inaptes à cerner leur objet. Cette bêtise n’était pourtant pas là en puissance dans la tête des gens, c’est plutôt un ravage que cause l’objet-Mal dans la pensée. Il est juste, toutefois, que cette remarque sur le risque de la bêtise s’applique aussi à son auteur.
Quand c'est le fonctionnement même de la civilisation, voire les moyens de sa prospérité pacifique qui semblent conspirer à sa propre autodestruction, il est tentant d'attendre, pour voir, puisqu'on ne sait guère par où commencer à réagir.
Plus la fin sera certain, donc proche, plus la dernière jouissance qui nous restera sera la jouissance du Mal.
La peur, chez les faibles, fait agir en hâte, tandis qu'elle pousse les forts à jouer avec un coup d'avance