Vidéo de Christopher Browning

(p. 119)
La première victime d'August Zorn est un très vieil homme. Il se souviendra que celui-ci
"ne pouvais ou ne voulait marcher avec ses compatriotes, car il tombait à tout bout de champ et restait simplement couché par terre. Je devais sans cesse le soulever et le pousser en avant. Mes camarades avaient déjà tué leurs Juifs lorsque je suis arrivé sur le site d'exécution. Àla vue de ses compatriotes étendus morts, mon Juif s'est jeté sur le sol et est resté couché là. Alors, j'ai armé ma carabine et je l'ai tué d'une balle dans la tête. Comme j'étais déjà bouleversé par le traitement cruel infligé aux Juifs pendant l'évacuation de la ville, et très troublé, j'ai tiré trop haut. Tout l'arrière du crâne de mon Juif a été arraché et la cervelle mise à nu. Des morceaux de crâne ont volé au visage du sergent Steinmetz. Cela m'a suffi. Une fois retourné au camion, je suis allé trouver le sergent-major, et je lui ai demandé qu'il me dispense des exécutions. J'étais tellement malade que je n'en pouvais simplement plus. J'ai été relevé par le sergent-major."
Il serait très réconfortant que Goldhagen ait raison, que de très rares sociétés réunissent les préalables culturels et cognitifs nécessaires, à long terme, pour commettre un génocide et que les régimes ne peuvent faire des choses pareilles que si la population est très largement en symbiose quant à sa priorité, à sa justice et à sa nécessité. Notre monde serait plus sûr s’il avait raison, mais je ne partage pas cet optimisme.
Sur la balance de la culpabilité, plus la part des Polonais était lourde, moins il en restait sur le plateau allemand
Beaucoup sont devenus des tueurs froids, indifférents, parfois enthousiastes ; d’autres participaient le moins possible à la tuerie, s’en abstenant pour de bon lorsqu’ils pouvaient le faire sans s’attirer trop d’ennuis. Seule une minorité de non-conformistes a su se ménager un enclos, sans cesse menacé, d’autonomie morale. En s’imposant un comportement atypique et en mettant au point des stratégies d’esquive, ceux-là ne se sont jamais mués en tueurs.
Ce sont les vieux clichés selon lesquels l’explication vaut excuse, la compréhension vaut pardon. Non, expliquer n’est pas excuser, comprendre n’est pas pardonner. Renoncer à comprendre les tueurs en termes humains rendrait impossible non seulement cette étude, mais toute histoire de la Shoah qui soit autre chose qu’une caricature.
J’ai bien peur que nous ne vivions dans un monde où la guerre et le racisme sont omniprésents, où les pouvoirs de mobilisation et de légitimation du gouvernement sont puissants et croissants, où le sentiment de la responsabilité personnelle est toujours plus atténué par la spécialisation et la bureaucratisation, et où le groupe des pairs exerce des pressions considérables sur la conduite de chacun et fixe les normes morales. Dans un pareil monde, je le crains, les gouvernements modernes qui souhaitent commettre un meurtre collectif échoueront rarement dans leurs efforts par incapacité à amener des « hommes ordinaires » à devenir leurs « bourreaux volontaires ».
J'ai bien peur que nous ne vivions dans un monde où la guerre et le racisme sont omniprésents, où les pouvoirs de mobilisation et de légitimation du gouvernement sont puissants et croissants, où le sentiment de la responsabilité personnelle est toujours plus atténué par la spécialisation et la bureaucratisation, et où le groupe de pairs exerce des pressions considérables sur la conduite de chacun et fixe les normes morales. Dans un pareil monde, je le crains, les gouvernements modernes qui souhaitent commettre un meurtre collectif échoueront rarement dans leurs efforts par incapacité à amener des "hommes ordinaires" à devenir leurs "bourreaux volontaires".
C’est précisément la démolition par les nazis de la démocratie et le rétablissement d’un système politique autoritaire, faisant passer les obligations communes avant les droits individuels, qui leur donnèrent légitimité et popularité aux yeux de couches significatives de la population allemande.
En ce qui concerne les relations entre Allemands et Polonais, ce qui frappe d’abord est la rareté des commentaires. Les hommes parlent en termes généraux de partisans, de bandits et de voleurs, mais ils n’attribuent pas à ces phénomènes un caractère spécifiquement antiallemand. Au contraire, ils dépeignent le banditisme comme une maladie endémique qui sévissait en Pologne dès avant l’occupation allemande. L’évocation des « bandits » répond donc à un double objectif : laisser entendre qu’après tout les Allemands protégeaient les Polonais contre un phénomène indigène de violence illégale ; ou bien, en prétendant que telle était la préoccupation majeure du bataillon, occulter la fréquence et la brutalité de ses activités anti-juives
La route d’Auschwitz a été construite par haine, mais elle était pavée d’indifférence.
Kershaw