Commission sur la Dictature Electronique - 3/3
- Si, je peux te révéler une donnée essentielle.
- Ah oui ? et laquelle ?
- Ton tueur ne se prénomme pas Mathieu.
- Je ne vois pas bien....
- J'ai trouvé sur le cou de la victime un cheveu qui ne lui appartient pas et semble, sous réserve de confirmation par l'analyse génétique, être de la même provenance que celui que nous avions déjà trouvé sur la deuxième victime. Or, comme dit Polnareff, "y a qu'un cheveu sur la tête à Mathieu" !
- Je me disais aussi...
L’expérience m’a appris que, dans la plupart des cas, on découvre, à l’issue de l’enquête, que des éléments déterminants étaient présents et visibles dans les premières heures suivant la découverte du crime. Si je m’en tiens à ce constat, je peux d’ores et déjà me dire que quelque chose nous a échappé. Ce qui me donne un sentiment d’insatisfaction et même de culpabilité que je traînerai jusqu’à la résolution du problème. Si nous y parvenons un jour. En attendant, il nous faut ressasser les mêmes questions, réexaminer les éléments disponibles sous toutes les coutures, ce qui ennuie généralement nos jeunes collègues. Ce type tue sauvagement et laisse un message d’amour. On peut donc penser qu’il tue par amour, par amour pour une autre femme.
Tout le monde sait ça dans le service. C’est une relation singulière qui ne peut être reproduite. Une relation qui s’est nouée peu à peu, comme souvent chez les flics, lors de nuits entières passées dans des voitures à la climatisation défaillante, à manger des sandwichs trop secs ou trop mous, à boire du café tiédasse, à respirer le tabac froid et l’haleine de l’autre qui se corrompt d’heure en heure, à dessiner sur la buée des vitres, à traverser des silences vertigineux pendant lesquels chacun s’en va errer dans ses rêves, à réprimer les envies de se soulager, à adorer les premières minutes du jour poisseux qui vient envelopper le véhicule.
Gavage des oies grises en Hongrie, fête des puceaux du Morbihan, attentats à Jérusalem et à Islamabad, des porcs qui attrapent la grippe des poulets pour nous la refiler, les terroristes talibans jaloux de ceux de Daesh, Poutine aime l’Ukraine, un trader entre dans les ordres, victoire inexplicable du Paris Saint-Germain contre le F.C. Barcelone. Chacun voit 13 heures à sa porte.
Dorénavant, quand tu voudras trucider ton prochain, il n’y aura plus de place pour l’improvisation, sinon ce sera la perpète garantie. Il faut porter des gants de latex et un bonnet de bain, zigzaguer entre les caméras vidéo, considérer son téléphone portable comme son pire ennemi, éviter de postillonner, zigouiller sans saigner, violer sans éjaculer.
Derrière ce front plissé, ces yeux humides et cette expression mutique, vit un autre monde qui nous est inaccessible. Si son regard n’était pas, de temps à autre, animé d’une trace d’agressivité je dirais que l’on peut le classer, selon l’expression chantante, dans la catégorie des ramollis du ciboulot.