René Dumont, pionnier de l'écologie politique en France
Les misères ne cessant de s'accroitre, partout, tout comme les privilèges des riches, j'estime donc que ce n'est plus la peine d'attendre des preuves supplémentaires pour tirer une première conclusion, qui ne sera certes pas admise aisément à Washington, par les institutions de Bretton Woods qui ne cessent de proposer - et d'imposer - le libéralisme. Eh bien, ce libéralisme, le voici en pleine faillite, peu après l'effondrement du communisme. Pour s'en tirer, il faudrait d'abord que cette faillite soit vite reconnue, évaluée - et corrigée. D'autant plus que le dérapage démographique et les atteintes à l'environnement qui s'y ajoutent, ou plutôt qui en découlent, multiplient les menaces d'explosion sociale : elles me font peur. Comment peut-on être optimiste ? Sinon en recherchant presque désespérément un monde possible, construit sur d'autres bases économiques et politiques. Ce ne sera pas facile, mais nous y sommes acculés.
Les parias des mondes pauvres :
La population mondiale compte, en 1995, 5.7 milliards d'hommes, de femmes et d'enfants ; là-dessus, le quart au moins, soit 1.4 milliard d'humains, peut-être classé en pauvreté absolue, en misère extrême, caractérisée par :
- l'analphabétisme, qui diminue un peu en proportion de la population, mais augmente en valeur absolue. Les femmes sont de loin les plus frappées, maintenue "dans l'ignorance".
- l'absence quasi totale de soins de santé, même si la vaccination progresse. Tuberculose et paludisme, bilharziose, maladies intestinales, etc., subsistent et même progressent à nouveau, après avoir reculé.
- le manque d'eau potable, mais là ce sont deux milliards d'humains qui sont touchés ; et l'ont atteindra bientôt les trois milliards, car les ressources d'eau ne cessent de diminuer : plus vite encore que la population n'augmente. L'eau de qualité est la premier des aliments, le plus indispensable ; il n'y a pas de bonne santé possible si elle vient à manquer.
- la malnutrition chronique accentuée touche sans doute le quart de la population, il est difficile d'en apprécier les limites. Cette malnutrition "favorise" les famines, dès le début des premiers accidents climatiques ou des guerres. Et les pénuries alimentaires s'aggravent aussi du fait des explosions démographiques et urbaines, si mal contrôlées en Afrique.
- le chômage, qui prive celui qu'il frappe de ressources et de dignité, touche déjà quatre cent millions d'adultes - chômeurs non secourus - dans le tiers monde ; ajoutons-y plus d'un milliard de très largement sous-employés. En comptant les membres de leurs familles, on dépasse donc le quart de la population ainsi terriblement frappée. En supprimant la possibilité de travailler, on réduit aussi les productions, les ressources, ce qui accroît les misères, intolérables, quand on a tous les moyens d'en venir à bout.
Pour compenser ce chômage des adultes, ce sont peut-être deux cent cinquante millions d'enfants - et probablement plus - qui sont "mis au travail" avant douze ans, ce qui les prive de toute scolarisation, de tout droit au savoir - à inscrire comme droit de l'homme "prioritaire".
bruit de chaînes,bruits des
armes,sentinelles jour et nuit.et du sang,des cris,
des larmes.la mort pour celui qui fuit.
Notre espoir d’une survie un peu prolongée ne repose plus, dans nos structures actuelles, que sur la prolongation de la misère de la majorité de l’humanité.
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Voici 40 ans que j’essaie, (…) de faire prendre conscience aux Français, aux francophones, puis à un plus large public (depuis que je suis traduit), du caractère absolument inadmissible et des injustices fondamentales, à l’échelle mondiale surtout, de notre économie capitaliste : celle du monde qui se vante d’être libre, oubliant volontiers qu’il est d’abord le monde riche.
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Le club de Rome et les écologistes anglais semblent s’être efforcés de traiter ces problèmes aussi vastes que complexes d’une façon un peu apolitique : comme si c’était possible.
En réalité, c’est là une dangereuse illusion : toute tentative d’apolitisme cache, sur le point visé, une position satisfaite des structures économiques actuelles, donc finalement conservatrices.
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Le monde riche, avec 29% de la population de la planète, utilise et surtout gaspille plus des quatre cinquième des ressources mondiales.
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Les armements, l’auto privée et la ville géante, voilà les principaux ennemis de cette fin de siècle…
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Les exclus du monde "riche"
Le chômage frappe désormais aussi, de plus en plus, les pays développés. Nous nous sommes crus longtemps, dans ces zones favorisées, bien à l'abri de ce fléau, surtout pendant la belle époque des trente glorieuses (1945-1975).
Aujourd'hui en France, trois millions cent mille chômeurs officiels, cela fait plus de cinq millions d'habitants en situation précaire. Plus de deux cent cinquante mille sont SDF, sans domicile fixe ; plus de deux millions sont très "mal logés", faute de logements sociaux. Mais on a beaucoup bâti, pour les riches, de résidences secondaires - sinon tertiaires. Les embouteillages de chaque fin de semaine, à la sortie de Paris et des grandes villes, soulignent le nombre de ceux qui sont "trop logés". Et bien des bureaux ne trouvent plus preneurs.
Nous mangeons les enfants du Sahel par notre surconsommation de viande