Librairie LA CARLINE
Le mercredi 8 juin 2022, nous avions la joie de recevoir Bertrand Louart pour un échange autour de son ouvrage "Réappropriation", sous-titré Jalons pour sortir de limpasse industrielle. un essai technocritique passionnant, radical et optimiste, publié en juin 2022 aux éditions de La Lenteur.
À l’opposé de l’économie morale des sociétés de subsistance, qui redistribuaient l’abondance relative, l’économie politique du capitalisme repose sur la contrainte structurelle de la rareté engendrée par la dépossession de nos moyens de production et de l’existence.
L’activité des sociétés capitalistes industrielles est orientée non vers la subsistance, mais vers l’acquisition de plus de puissance ; elle n’entretient la vie que de manière incidente, et toujours sur la base de l’exploitation des humains et de la nature. La guerre économique n’est d’ailleurs rien d’autres qu’une guerre contre la subsistance autonome, qui détruit et dévalorise tout ce qui permet de se passer de la marchandise et de l’argent.
L'idée de progrès a toujours servi à éliminer de l'horizon les autres voies, les autres mondes possibles que les habitants d’un lieu ou d'un pays avaient réalisés ou que les insatisfaits, les déracinés, les révoltés et les révolutionnaires avaient pu imaginer.
C'est précisément pour cela que le progrès est si puissant : sa dynamique est fondée sur notre participation, qu'elle soit volontaire ou contrainte ; il intègre ainsi notre activité autonome afin de détruire les conditions mêmes de notre autonomie. Le progrès n’est autre que la dynamique d'extension indéfinie du règne de l’argent, la colonisation de notre existence par les marchandises.
L'autonomie désigne chez un individu la capacité morale de “se donner à soi-même ses propres règles de conduite“.
Cette invraisemblable inconscience ne faisait que refléter le progressisme le plus débridé, qui veut croire que tout ira mieux à l'avenir en s'aveuglant volontairement sur les origines du saccage du présent.
La dissidence doit s’organiser : conférer un contenu politique à ses diverses activités et, sur cette base, inviter tous ceux qui souhaitent déserter le monde tel qui ne va pas.
L'économie de marché capitaliste s'est constituée contre l'économie de subsistance. Il est donc malhonnête de prétendre que, de l'extension des marchés locaux d'hier, serait issue l'économie de marché que nous connaissons aujourd'hui.
Ainsi, dans les grandes organisations, les entreprises, les administrations ou l'Éducation nationale, on vante de plus en plus l' "autonomie" des salariés, des usagers ou des élèves, en désignant par là le fait que l'individu a si bien intériorisé les contraintes bureaucratiques et technocratiques qu'il s'y plie spontanément.
Or, c’est bien cette dernière éventualité qui est en train de se réaliser sous nos yeux : ce que nous disent tous les porte-parole du monde moderne – et spécialement les scientifiques qui sous prétexte de « lutte contre l’anthropocentrisme » se font en réalité les propagandistes de l’obsolescence de l’homme – à travers leur dénégation des nécessités concrètes de la condition humaine, c’est qu’ils ne veulent pas de cette conscience, qu’ils ne veulent pas de cette responsabilité et qu’ils ne veulent pas bâtir un monde habitable pour l’homme. Mais le fait de ne rien vouloir de tout cela, et de persister pourtant à vivre et habiter le monde tel qu’il est, produit néanmoins un monde. Un monde qui n’est pas le nôtre, qui nous est de plus en plus étranger, voire hostile. Un monde organisé selon la logique de la machine et non selon celle du vivant.