Mon enfance, c'est un perpétuel tintement de verres d'arak et c'est le rire de mon père qui faisait trembler les murs.
Notre enfance était un fête permanente. Nos parents nous apprenaient le sens de la beauté.
Comme mon grand père ne finissait jamais ce qu'il entreprenait, la salle de bain était restée sans toit. Je prenais mes douches sous le soleil et sous le ciel étoilé.
- Tout ça, c'est la faute aux religions, c'est ce foutu bon Dieu qui fout la merde partout. Le jour où l'on transformera en bordels les églises et les mosquées, nous serons tranquilles.
La plupart des familles chrétiennes libanaises se disent descendantes des Phéniciens. Cette ascendance mythique et mythologique prestigieuse leur évite d'être apparentées aux Arabes, définition qu'elles réservent aux peuples de "basse extraction" comme les Syriens ou les Palestiniensx qu'elles exècrent.
Et dans ce Liban où chacun n'existe que par sa communauté et sa confession, nous n'avions ni communauté, ni confession. Nous ne savions pas si nous étions chrétiennes ou musulmanes.
Quand nous posions la question à notre père, il répondait :
- Vous êtes des filles libres. Un point c'est tout.
J'admirais le spectacle des chrétiennes libanaises quand elles entrent dans une église : elles se jettent avec une telle gourmandise sur la statue du Christ. Elles lui empoignent les hanches, elles le couvrent de baisers sonores des genoux jusqu'aux seins. Elles lui lèchent le nombril, lui lapent les cuisses. J'ai appris à mon tour à prendre le Christ par la taille et à lui baiser le pagne. Je devenais une vraie maronite.
Mon enfance, c'est un perpétuel tintement de verres d'arak et c'est le rire de mon père qui faisait trembler les murs.
Qui va me protéger contre ces monstres ! C'est toi qui me l'a appris : "Méfie-toi, ma fille, tous les hommes de ce pays sont des monstres pour les femmes. Ils sont obsédés par les apparences, ils sont ligotés par les coutumes, ils sont rongés par Dieu, ils sont bouffés par leurs mères, ils sont taraudés par le fric, ils passent leur vie à offrir sur un plateau leur culture au bon Dieu, ils ouvrent leur braguette comme on arme une mitraillette, ils lâchent leur sexe sur les femmes, comme on lâche des pitbulls. Quels chiens !"